A hard day's night

Quand rien ne se produisit, ni fou rire, ni éclair foudroyant, ni mort subite, Emily s'arrêta, interdite. Immobile, elle embrassa le décors du regard mais ne vit rien d'autre que le sentier tracé dans la Brume. L'acariâtre voix semblait s'être tût, remplacée par les hululements et les cris de quelques animaux nocturnes. Curieusement, elle n'avait pas entendu ces sons tout à l'heure. Trop concentrée sur ses épreuves ? Trop à l'ouest ? Peu importe! Hésitante, Emily fit un pas en avant, puis un suivant avant de se rendre compte que plus rien n'entravait sa progression. Est-ce que ça voulait dire qu'ils avaient réussi ?

Sans un mot, humaine et daemon suivirent le chemin et surent, lorsque ce dernier déboucha devant un lac, qu'ils avaient gagné leur entrée à Sywhaîd. La nuit était tombée depuis longtemps maintenant et la lune se reflétait sur le Loch, mais étrangement, l'air était doux, bien plus que dans la Brume. Pas si étonnant que ça en fait.

Épuisée, ébranlée aussi par cette épreuve, Emily ne tenait plus debout. La fatigue qu'elle avait tant bien que mal refoulée jusque-là, la submergea tout à coup. Elle avança doucement, son daemon-lièvre sur les talons. Quand elle fut près du Loch, l'irlandaise repéra un saule pleureur qui semblait vouloir plonger dans l'eau. Son tronc, presque à l'horizontale, invitait au repos. La jeune femme s'avança jusqu'à lui, lâcha sa valise, et se hissa sur le tronc. Là, les jambes dans le vide, elle ferma les yeux et soupira. La tension qu'elle avait accumulée ces dernières heures s'estompa légèrement. Ses épaules s'affaissèrent et ses muscles contractés se dénouèrent un peu. Seule restait cette intense fatigue, compagne fidèle.

Emily avait espéré qu'ici elle guérirait et elle l'espérait toujours. Elle voulait retrouver le plein usage de sa magie, elle le voulait "vraiment", comme elle l'avait dit tout à l'heure. Mais pour le moment, ce qu'elle voulait plus que tout, c'était dormir. Le ciel écossais était parsemé d'une myriade d'étoiles qui faisaient briller cette toile sombre. Les yeux de la jeune femme lui piquèrent tandis qu'une petite larme solitaire roulait sur sa joue. Trop d'émotion pour une seule journée sans doute…

Après avoir scruté les alentours, Emily sut qu'elle n'aurait pas la force physique de faire un pas de plus pour rejoindre le village. D'ailleurs elle ne savait pas exactement comment s'y rendre, et se perdre à nouveau dans la Brume n'était pas une solution envisageable. Emily se laissa alors glisser le long du tronc jusqu'à s'asseoir par terre, adossée au saule. Shaliar sauta dans les bras de son humaine et, épuisés par la route, par les épreuves et par la maladie, ils s'endormirent, blottis l'un contre l'autre, sans plus se soucier du reste.

Pendant ce temps-là, l'apiculteur... faisait trempette. Adepte des bains de minuit, il sortait en s'ébrouant de l'eau fraîche du loch à l'instant où Emily, de son côté, sombrait dans un sommeil réparateur.

Buzz se sécha sommairement, utilisant sa propre chemise en guise de serviette, et enfila simplement son pantalon ; la nuit était délicieusement tiède, et il n'était de tout façon guère frileux. Sons et parfums flottaient dans l'air du soir, atmosphère paisible ; Buzz s'apprêtait à regagner d'un pas tranquille la petite cabane qui lui servait de tanière. Mais il aperçut à quelques mètres de lui, au pied d'un saule, une tache blanche ; ou bien une nouvelle pierre avait poussé dans le verger ; ou bien, il y avait quelqu'un là-bas. Qui plus est -Buzz avait l'instinct pour ce genre de choses-, ce quelqu'un était une femme. Il s'approcha de sa démarche habituelle, souple et silencieuse.

Le spectacle était des plus touchants ; une jeune demoiselle, de vingt ans à peine, à vue d'oeil, tenant auprès d'elle un lièvre qui ne pouvait être que son daemon. Ils semblaient épuisés.

Buzz sourit, attendri, et les observa quelques instants ; mais il hésita à la conduite à tenir. Sur Sywhaîd, on avait tendance à ne pas se soucier des affaires des gens : chacun était libre de faire les bêtises qui lui chantaient, comme passer une soirée à la belle étoile, quitte à s'enrhumer pour deux mois. Mais d'un autre côté, l'apiculteur ne se souvenait pas avoir croisé ce joli minois sur la Lande -il l'aurait remarqué. Peut-être venait-elle d'ariver, ne savat-elle pas où aller, peut-être n'avait-elle pas osé demandé de l'aide à la ferme. Il aurait été dommage qu'un si joli nez finisse tout rouge et gonflé pour une nuit dans les courants d'air.

Buzz, accroupi jusque là, se releva pour aller chercher une couverture chez lui ; les oreilles du lièvres frémirent.

[Je te laisse voir si Emily/son daemon se réveillent ou non, bien sûr !]

[ Un Buzz torse nu... Grrr ! Dieu sait que j'ai longtemps hésité ! ^^]

Les oreilles du lièvre frémirent mais le reste du corps ne bougea pas, pas plus que celui de la jeune femme. À mille lieues du monde réel, il leur aurait fallu plus qu'un simple courant d'air, plus qu'un regard inquisiteur pour qu'ils se réveillent.

Loin de penser qu'un homme se penchait sur son cas, Emily dormait d'un sommeil au final peu réparateur, chargé d'images et d'émotions. Des rêves, des cauchemars ? Elle-même n'aurait pas vraiment su le dire. Elle revoyait en boucle sa maladie, son voyage, sa quête. Des épreuves passées qui, loin d'être rassurantes, semblaient laisser leur place à de nouveaux défis peut-être pires encore. Une tempête intérieure faisait rage dans la tête d'Emily et inconsciemment son corps se recroquevilla. Ses poings se crispèrent et elle fronça les sourcils dans son sommeil.

Y arriverait-elle ? Guérirait-elle un jour ? Retrouverait-elle sa Magie d'autrefois ? Sywhaîd lui apporterait-il la solution ou bien devrait-elle chercher autre chose, ailleurs, encore ? Arriverait-elle à penser à autre chose qu'à ça ne serait-ce qu'une fois ? Arriverait-elle à penser à autre chose qu'à elle un jour ? En finirait-elle avec cet égocentrisme qu'elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver ou bien finirait-elle aigrie, rongée par la fatigue, avec des chats pour seule compagnie ?

Tout un tas de questions sans réponses que lui infligeait son esprit torturé et affaibli.

* Cette journée ne finira donc jamais ?!* songea son esprit engourdi tandis que Shaliar remuait à nouveau les oreilles.

Était-ce une réponse au rêve ou bien avait-il entendu quelque chose ? Le rêve était sûrement à l'origine de ce léger mouvement…

[Oui, c'est curieux cette tendance qu'il a, de tomber la chemise à tout bout de champ...lalala.
M'en fous, je n'hésite pas, hihi !]

Ah, quel spectacle charmant que celui d'une belle au bord du loch dormant ! Les reflets dansants de la lune, sur la surface calme de l'eau, semblaient caresser très doucement le visage de la jeune endormie, y déposer des nappes de clartés vagues et dansantes.

Comme le lièvre n'avait pas ouvert l'oeil, Buzz prolongeait encore un peu sa séance de voyeurisme ; mais il constatait que la demoiselle n'était pas aussi sereine qu'aurait dû l'être une vraie princesse de conte de fée, dont les menus soucis -le choix d'une robe de bal, un bain au lait d'ânesse trop tiède- occasionnaient rarement des poings crispés, des sourcils froncés. Buzz aurait souhaité à une aussi charmante brune de connaître un tel sommeil, sans songe, réparateur.

Il se décida finalement à quitter les lieux... pour y revenir quelques instants plus tard, portant sur l'épaule une épaisse couverture de laine. C'était un épais et douillet tartan de la plus pure tradition écossaise, tissé et teint à la main, puisque made in Sywhaîd, dans des tons orangés. D'une main délicate, Buzz déroula la couverture, et couvrit le corps de la mystérieuse endormie. Le tartan était chaud, mais léger, comme les meilleurs laines écossaises.

Il n'y avait pas plus douillet, c'était du moins l'avis de l'apiculteur, qui parlait en connaissance de cause puisqu'il s'agissait de sa propre couverture. Il n'en avait pas d'autre ; quelle abnégation, vraiment ! Il allait devoir retourner dans sa cabane, coucher suel sur son pauvre sommier, sans rien pour apporter à cette triste couche un semblant de douceur... Et avec un peu de chance, sa couverture disparaîtrait au petit matin, avec la demoiselle.

C'était trop bête : on serait beaucoup mieux ainsi, effectivement, à la belle étoile, sous une couverture chaude et douillette... bien assez grande pour accueillir deux, voire trois personnes. Buzz esquissa un sourire malicieux, puis se glissa très délicatement sous la couverture -à distance respectueuse de l'occupante en place. Lui ne venait pas d'affronter une éprouvante quête ; il s'endormit rapidement, d'un sommeil serein.

Emily n'entendit pas l'apiculteur partir puis revenir, pas plus qu'elle ne fut dérangée par la couverture quand ce dernier l'en enveloppa, ni par le fait qu'il s'installe à côté d'elle à moitié nu. Peu à peu la fatigue avait reprit ses droits sur l'esprit d'Emily. Les questions qui tourbillonnaient sans cesse s'espacèrent jusqu'à disparaître comme un mauvais rêve. Son inconscient lâcha prise et son corps tout entier se décontracta. Emily se serait presque sentie dans un cocon douillet. Pour sûr, ce rêve-là était mieux que le précédent ! Même Shaliar, dont seules les longues oreilles dépassaient à présent, ressentait la différence.

Glissant dans un sommeil plus calme et réparateur, Emily et son daemon se relaxèrent. L'air était doux et une légère brise, en rien comparable avec l'air froid de la Brume, faisait onduler les mèches brunes de la jeune femme. Quelques oiseaux nocturnes perçaient ça et là le silence nocturne d'une trille discrète, comme pour ne pas déranger les deux dormeurs. Après de longues minutes, Emily remua dans son sommeil. Le saule n'était peut-être pas si confortable que ça en fin de compte. Elle allait pourtant sombrer dans un sommeil profond lorsque son corps glissa sur le côté et bascula doucement. La tête d'Emily, au lieu de rencontrer le sol, heurta une grosse pierre, ce qui eut pour effet de réveiller la belle.

La tête inclinée, toujours sur la pierre, il fallut à Emily plusieurs secondes pour réaliser où elle se trouvait. L'air hagard et l'œil un peu vitreux, embué de sommeil, l'irlandaise regarda droit devant. Quelques secondes furent nécessaires à la mise au point, après quoi elle put voir le Loch endormi, quelques herbes hautes qui ondulaient… C'est alors qu'elle constata que sa pierre bougeait, et…

- Aah !!!

Surprise, Emily poussa un petit cri de stupeur et releva la tête d'un geste brusque, s'appuyant sur l'apiculteur pour se redresser. Elle venait de réaliser qu'elle se trouvait sous la couverture d'un homme qu'elle ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam ; que cet homme, non content de s'être fait discret, avait prit le liberté de s'installer près d'elle et que, pour couronner le tout, ce qu'elle avait d'abord prit pour une pierre d'était rien de moins que l'épaule - plutôt douce - de cet homme.

L'air un peu affolé, Emily regarda autour d'elle, à la recherche d'une âme qui vive, en vain. Shaliar désormais aussi éveillé que sa moitié, dardait un regard noir sur le trublion. Que leur voulait-il celui-là ? C'est pourtant Emily qui prit la parole, hésitant entre fuir et… Hem… et bien… disons que le point de vue qu'elle avait sur Buzz n'était pas des plus désagréables…

- Qu'est-ce que vous faites là ? Demanda-t-elle d'un ton moins ferme qu'elle n'aurait voulu.

Restant malgré tout sur le qui-vive, Emily redressa le buste et détailla son voisin. Moui… Pas mal du tout en effet. A peine trop âgé…

[Je suis désolée !!! J'avais oublié ce topic, pardon !!!]

Morphée avait ce soir-là des bras bien agréables ; enlacé par une somptueuse créature juste assez farouche, Buzz passait une nuit fort agréable, probablement plus habitué au confort rustique d'une vieille courverture de laine que la demoiselle qui, à ses côtés, était sur le point de se réveiller. Et de le réveiller, du même coup. Le coup qu'il reçut à l'épaule n'avait pas sa place dans le rêve qu'il était en train de faire, aussi entrouvrit-il les paupières, pour se rendre compte petit à petit de la situation réelle. Qui ne valait pas tout à fait celle de son sommeil, mais il n'avait tout de même pas à se plaindre.

Il sourit à la demoiselle qui lui faisait face, bien qu'il ne se souvînt pas encore très bien de la raison de sa présence ici. Se faisait-il se vieux qu'il en perdait la mémoire ? Non, les circonstances lui revenaient en tête. La belle au pré dormant, la nuit étoilée, sa sollicitude... Oui, ça lui revenait alors même que sa compagne de lit poussait un cri d'effroi. Il haussa un sourcil, ouvrit un peu plus la paupière. Confirma le sourire, car il remarqua rapidement que le regard que portait sur lui l'inconnue n'était pas complètement hostile. Il en eut la confirmation lorsqu'elle l'eut interrogé, d'un ton pas assez dur pour lui faire prendre ses jambes à son cou.

Rassuré, il s'étira longuement, façon matou, des fois que son torse fin et musclé ne se serait pas trouvé suffisamment mis en valeur.

"Qu'est-ce qu'on peut faire sous une couverture, d'après vous ?" demanda-t-il d'un air innocent, avant de prendre appui sur son bras, tout prêt à pousuivre la conversation, l'air de rien.

[C'est pas grave, t'inquiète. ^^]

Ce qu'on pouvait faire sous une couverture ? Et bien Emily le visualisa fort bien lorsque la-dite couverture glissa le long du torse de son voisin. Par tous les Trolls !

- J'ai bien quelques idées.., répondit-elle toujours sur la défensive mais avec dans la voix quelque chose qui ressemblait à de la malice. Mais je suppose que vous ne faisiez que dormir ?!

A peine eût-elle terminé sa phrase que l'irlandaise étouffa un bâillement accompagné d'un adorable petit couinement. Shaliar, de son côté, se roula en boule sur les genoux de sa moitié, partiellement couvert par l'étoffe écossaise. Visiblement ils n'avaient rien à craindre de cet autochtone, il pouvait baisser sa garde. Il garda néanmoins une oreille dressée, juste au cas où. Emily décida à son tour d'accorder le bénéfice du doute à son voisin. Après tout, s'il avait passé la Brume, il ne pouvait pas être foncièrement mauvais, si?

Toujours aussi épuisée - il lui faudrait un moment pour récupérer - Emily se mit en tailleur et se cala plus confortablement le long du saule. Elle rajusta la couverture de Buzz sur ses genoux et recouvrit alors presque entièrement le daemon lièvre dont seule l'oreille gauche dépassait à présent.

- Je m'appelle Emily et lui c'est Shaliarteremon, mon daemon, dit-elle en désignant la boule sur ses genoux. Et vous ?

Elle avait encore un peu de mal à se détendre ; sans doute le contre-coup de la Quête.

- Vous… Vous habitez par ici ? Demanda-t-elle en cherchant du regard une maison, une grange, une cabane, où quoi que ce fut qui ressemble à une habitation.

En étouffant un bâillement, Emily manqua l'expression du visage de l'apiculteur, merveille d'innocence et de naïveté. Mais cela dura peu, car Buzz n'était pas d'humeur à faire le singe mais bien plutôt à constater à quel point sa voisine était adorable, encore à moitié ensommeillée. Il jeta également un coup d'oeil à la boule de poils lovée sur ses genoux, mais bien que ce spectacle-là fût lui aussi mignon, dans son genre, il n'y avait pas besoin de trois mille ans pour reconnaître de quelle sorte de daemon il s'agissait, et l'apiculteur avait déjà reporté son attention sur la demoiselle. Il se demanda vaguement si le fait d'avoir un lièvre pour petite moitié animale voulait dire qu'on était du genre à prendre facilement ses jambes à son cou ; mais il préférait s'en tenir à ses premières impressions, plus favorables.

Aussi poursuivit-il sereinement leur badinage léger.

"C'est un nom atrocement compliqué", décréta-t-il en hochant gravement la tête. "Est-ce que je peux me contenter de vous appeler Em' ? On m'appelle bien "B", en général. B. l'apiculteur", précisa-t-il en levant les yeux au ciel comme pour s'excuser du mauvais jeu de mots dont il faisait l'objet*.

"Et j'habite..." il regarda au loin, en direction du verger, et indiqua un point dans cette dirction.

"Là-bas, derrière le noyer, la cabane... C'est chez moi. Mais vous devez vous décaler un peu par ici pour la voir."

Et, faisant mine de ne pas avoir tout juste proposé à la jeune femme de se coller à lui, il poursuivit innocemment : "Très confortable, bien qu'il n'y paraisse pas... Quatre murs, un toit, un matelas..."

*["B" se prononce en anglais comme le mot "bee", "abeille" ; je précis juste au cas où.]

[Je le savais. D'ailleurs je lui ferais bien un BB* à ce cher Buzz. (*prononcer bibi bien sûr ^^)]


- "Em" ? Avec plaisir.

Emily rit de bon cœur, amusée. B. l'apiculteur hein ?… Il était bien le premier à lui dire que son nom était compliqué. Pour Shal' admettons, mais elle ?… La jeune femme tendit sa main à Buzz.

- Enchantée… "B", moi c'est "M".

Elle regarda ensuite dans la direction que pointait son voisin, mais force lui fut de constater qu'elle ne voyait rien où elle se trouvait. D'ailleurs, B. le lui confirma en l'invitant implicitement à se décaler. Emily lui jeta un coup d'œil furtif. A quoi jouait-il cet apiculteur ? Bah… de toute façon l'irlandaise n'avait jamais eu peur du loup. Elle décida donc d'entrer dans son jeu, non sans un rictus discret, et se pencha sur son voisin. Un peu déséquilibrée elle dut prendre appui sur B et rougit légèrement. Elle bénit les mages d'avoir fait son teint mat et la lune de camoufler cette rougeur inopportune.

Emily écouta le sywhaîdien décrire sa cabane tandis qu'elle se rasseyait à sa place. Ahh! Un matelas… Ca n'était en rien une proposition mais Emily en rêvait déjà. Rien de tel qu'un bon lit, ou même un lit de camp, ou une paillasse, ou… En fait elle aurait très bien pu se rendormir, là, maintenant, tout de suite. Mais elle se retint. Au lieu de ça elle regarda dans le vague, fixant distraitement un roseau qui ondulait sous la brise tiède.

- "Aime" c'est "love" en français, non ? Elle sourit et hocha la tête. J'aime bien.

Une mèche brune lui tomba devant le front ; Emily la replaça derrière son oreille d'un geste lent.

- Alors comme ça, B., vous êtes apiculteur ?!… Et euh… il y aurait quoi à faire pour une fille comme moi ?

[Un BB-zouzou ? Y'a qu'à demander, il est pas réfractaire, hein !]

Une ombre de déception passa sur le visage de Buzz lorsqu'Emily se rassit, mais il n'en laissa pas paraître davantage et, sur ce coup, lui aussi pouvait se féliciter de son teint mat et de la lune qui, ce soir-là, dissimulait décidément bien des choses. Il n'y avait pas de quoi avoir la mine sombre : la jolie demoiselle lui avait fait profiter l'espace de quelques délicieuses secondes du contact délicieusement doux de sa peau tiédie par la couverture ; et il devait bien avouer que, si elle s'était montrée d'emblée plus entreprenante, il aurait probablement été un peu déçu. Telle quelle, la jeune Emily s'y entendait en badinage, et il n'allait pas bouder son plaisir.

"M"... la syllabe lui fit esquisser un sourire gourmet ; il parlait le français couramment, et n'eut pas besoin d'attendre que la jeune fille ainsi auto-désignée fît la remarque de l'homonymie. Néanmoins, il va sans dire qu'il n'était pas mécontent d'entendre cette remarque dans cette jolie bouche : iil arqua un sourcil ; jeune, fraîche et adorable, mais visiblement pas prude, l'Emily. L'apiculteur hésitait encore à embrayer sur cette remarque de la jeune fille, lorsque le doux visage se trouva soudain barré d'une mèche brune, qu'elle rangea sagement derrière l'oreille, d'un geste délicieusement lent, dont notre butineur national ne perdit évidemment pas une miette. Sensible aux mouvements autant qu'aux mots, il fut définitivement conquis par ce geste gracieux, charmant.

Lorsqu'elle reprit la parole, il sourit, se pencha vers elle et fit non de la tête, se calquant sur son rythme lent.

"Une fille... comme vous... M..." il s'interrompit l'espace d'un instant, le temps de soutenir les mots "comme vous" d'un regard assez peu équivoque, et de laisser planer dans sa phrase une ambiguïté à cheval sur deux langues. "Une fille comme vous ne doit pas se poser ce genre de questions à peine arrivée ; elle ne doit d'abord se soucier que de son seul plaisir", déclara-t-il lentement, en détachant soigneusement les mots. En l'occurrence, le plaisir qu'il lui offrait ne se trouvait qu'à quelques centimètres.

[Help yourself]

" Like you "… Emily sourit et détourna la tête lorsque B. appuya ces derniers mots. Elle n’avait pas l’intention de formuler un quelconque sous-entendu, mais c‘est visiblement ce qu‘elle venait de faire. D’ailleurs, son esprit avait un certain goût pour l’aventure depuis quelques minutes et ne répondait pas forcément aux attentes de la jeune femme. Sa volonté semblait être mise à mal ce soir. D’abord cette voix acariâtre, ces épreuves qu’elle jugeait maintenant de… barbares, voire sadiques… et enfin cet homme venu de nulle part, séduisant en diable. Peut-être qu’il s’agissait encore d’une épreuve. Après la peur, le doute, le rire… la tentation ?

Son cœur battait plus vite et ses tempes se mirent à battre le même tempo. Elle avait beau tenter de se ressaisir, son cerveau mais surtout son corps refusaient de lui obéir. Ses gestes étaient lents malgré elle et il semblait que son voisin n’y était pas insensible. Ou tout au moins pas indifférent puisqu’il se rapprocha. A ce moment précis, l’irlandaise n’aurait su dire si qui allait se passer ; s’il s’agissait d’une ultime épreuve ou pas… Pourtant, quand l’apiculteur évoqua « son seul plaisir », Emily eut un sourire coupable.

Elle entrouvrit les lèvres et plongea les yeux dans ceux de son adorable sywhaîdien de voisin.

- Mon seul plaisir?…

Son sourire se fit alors plus timide, presque gêné.

- Et bien…

Elle serra les dents pour étouffer un bâillement.

- En réalité mon seul plaisir en cet instant serait… que vous… Que vous…

Qu’il quoi? L’embrasse? Il était assez prêt pour qu’elle le fasse elle-même. C’était une hypothèse d’ailleurs si alléchante qu’Emily était tentée de se laisser aller.

- Si vous pouviez… me dire où je peux trouver un vrai lit, je vous en serais éternellement reconnaissante.

Le ton de sa voix était à la fois enjoué que réellement fatigué. Elle n’avait pas encore la force de se relever et doutait d’y arriver seule dans l’immédiat, mais le saule, aussi agréable soit-il, n’était tout de même pas d’un confort suprême et la jeune O’connor avait vraiment besoin de repos. C’est donc à regret qu’elle recula légèrement. Presque imperceptiblement mais ce fut suffisant à lever l’ambiguïté de la situation. Du moins pour Emily. Dommage, ce B. était vraiment très… Et bien « très », justement. Elle espérait juste ne pas avoir vexé l’apiculteur. Secrètement, elle espéra aussi ne pas avoir détruit toutes ses chances dès le premier jour.
Un énième sourire vint ponctuer sa réflexion tandis que Shaliar sautait de ses genoux, légèrement engourdi.

L'apiculteur entrouvrit la bouche à son tour, il se retint de pousser un "oh" de surprise... et de dépit ; ce qui l'en empêcha, c'était l'air si fatigué de la belle au loch dormant, son bâillement adorable, ses yeux déjà presque mi-clos. Elle était trop mignonne pour qu'il puisse lui en vouloir. Surtout, elle ne faisait effectivement pas semblant d'être fatiguée, or... il est certaines choses qu'il est plus agréable de faire lorsque l'on a un minimum d'énergie.

Il s'écarta à son tour, se releva lentement, après avoir écarté la couverture ; le froid de la nuit le rappela vaguement à la réalité, comme si une parenthèse très douce venait de se refermer. Il tendit sa main à la jolie Emily pour l'aider à se relever, puis, finalement, tendit également la seconde, parce qu'elle tenait à peine debout, la demoiselle. Il passa un bras sous les aisselles de la dormeuse, avec délicatesse, mais sans laisser le moins du monde ses doigts se promener indélicatement - du sang froid, Buzz, du sang-froid.

Attrapant la couverture et la jetant sur son autre épaule, il la mena jusqu'à sa propre cabane, et son propre lit. Aprè une telle conversation, cela peut paraître curieux, voire aberrant, mais il n'y avait vraiment dans ses manières de faire plus la moindre connotation sexy, si l'on excepte bien sûr le fait que, de sa démarche souple à sa voix veloutée, il transpirait la sensualité. Il remit la couverture en place sur son sommaire lit, ôta quelques affaires d'une chaise posée à côté du lit, et lui laissa la place.

Il avait la main sur la poignée de la porte.

"Bonne nuit, "M"," dit-il avec douceur, avant de piquer d'un baiser la tempe de la demoiselle. "Si vous avez faim demain matin, j'amènerai le petit déjeuner", souffla-t-il à son oreille ; il n'avait pas pu se retenir complètement. Il ouvrit la porte et sortit : une seconde baignade dans l'eau froide du loch semblait s'imposer.

[Finito ?]

Emily remarqua à peine le dépit de l’apiculteur tant elle luttait pour ne pas s’endormir dans l’instant. Elle laissa B. l’aider à se relever et lui fut reconnaissante de la soutenir tout le long du trajet, qui se fit plus silencieux qu’auparavant. Le sywhaîdien la mena dans ce qu’elle estima être « sa cabane » même si elle avait depuis bien longtemps perdu toute notion d’orientation.

Quand il lui offrit son lit, Emily se mordit la lèvre sans réellement connaître les raisons de son hésitation. Était-ce le fait de priver cet homme de son lit ? De le priver de tout sommeil ? Ou bien les regrets de ce qui aurait pu être ? Elle ne se posa cependant pas trop de questions et accepta de bonne grâce le lit qui s’offrait à elle. Elle pénétra alors dans l’antre de la bête, la chambre de Buzz, et la trouva à l’image de son propriétaire.
Emily se retourna pour faire face au maître des lieux. Il lui souhaita une bonne nuit et la jeune femme se dit qu’elle ne pourrait être que bonne. Elle se sentait en sécurité et l’idée de passer les prochaines heures dans ce lit plutôt que le long de ce saule l’emplissait déjà d’une délicieuse langueur. Son cœur manqua un petit battement lorsque l’apiculteur embrassa sa tempe. Voilà un autre délice qu’elle appréciait beaucoup…

Comme il s’apprêtait à partir, elle avança et à son tour, elle se hissa légèrement pour déposer un baiser doux sur la joue de son preux chevalier.

- Merci, souffla-t-elle simplement.

Elle hocha la tête en signe d’approbation lorsqu’il évoqua le petit-déjeuner du lendemain et referma doucement la porte derrière lui, avant d‘aller s‘enrouler dans la couverture de Buzz, un sourire bienheureux aux lèvres. Shaliar, roulé en boule près de sa tête, s‘endormit instantanément, de même que son humaine. A cet instant elle n’avait plus le moindre appétit, mais demain, qui sait…