P.S. : I Love You

CLAC

« Tu vas user l’essenc’. »

« J’ai pas b’soin d’essenc’ pour fair’ fonctionner c’truc. »

« Alors c’est ma patienc’ qu’tu vas user. »

Le ton de Morth, beaucoup trop sec pour être pris de l’humour, poussa Asa à sortir de sa contemplation. Elle arrêta de jouer avec le zippo qu’elle tenait entre les mains et lui lança un regard douloureux, et surpris à la fois. C’était la première fois depuis bien longtemps que Morth lui parlait comme ça. La dernière fois lui revint très précisément, c’était dans une ruelle, à Norsken, après qu’elle ait fait l’une des pires conneries de sa vie en compagnie d’une espèce de punk anglais ridicule. Elle soupira, se demandant pourquoi ça lui revenait en mémoire maintenant. Et son regard fut de nouveau attiré par l’objet qu’elle tenait entre les mains, un zippo noir, avec un hérisson gravé dessus. Un hérisson qui ressemblait terriblement à Morth, un peu trop même. A côté d’elle, il y avait encore le papier cadeau qu’elle avait déchiré avec impatience, dans l’escalier sur lequel elle était à présent assise, se demandant qui pouvait bien encore lui envoyer un cadeau puisqu’elle avait déjà reçu une carte de ses parents et un cadeau de la part de Feb’.

« Qui peut m’avoir offert ça ? »

Ca faisait au moins trois fois qu’elle répétait la question, et qu’elle ne trouvait aucune réponse. Dans le paquet il n’y avait eu aucune carte, pas même un petit indice pouvant la mener à l’expéditeur mystère. Sur la marche supérieure à celle sur laquelle Asa s’était assise, Morth faisait les cents pas, aussi bouleversé qu’elle, mais pour d’autres raisons. Si Asa ne voulait pas admettre qu’elle savait très bien qui lui avait envoyé ce cadeau pour ses vingt-deux ans, Morth quant à lui avait compris pratiquement tout de suite. Savoir n’était pas quelque chose fait pour le calmer, il était plus agité qu’il ne l’avait jamais été.

« Qui peut m’avoir offert ça ? » répéta-t-elle, lançant un regard de S.O.S à Morth.

Le hérisson soupira et s’approcha d’elle. Il se redressa sur ses pattes arrières et s’appuya contre la cuisse d’Asa pour regarder une nouvelle fois le briquet de près. L’objet était magnifique. Il laissa passer quelques secondes mais le regard d’Asa l’obligea à répondre.

« C’est plus simpl’ d’se d’mander qui nous l’a pas offert. » Pour une fois, il n’utilisa pas un ton professoral ou gentiment moqueur, le sujet était trop sérieux pour ça. « C’est pas les parents, ils nous ont envoyé la cart’ habituell’ et n’ont pas les moyens d’ach’ter un truc comme ça. Feb’ nous a offert un album de photos d’New-York et d’la famill’, qu’elle a fait, donc elle va pas en plus nous offrir un cadeau anonym’. D’tout’ façon, elle a pas les moeyns pour c’genr’ d’trucs non plus. Rest’ qui ? Logan ? Il a promis d’nous fair’ un r’pas spécial c’soir, c’est son cadeau, et vu comment tu lui a répété qu’ça t’gênais quand on t’offrait d’trop beaux cadeaux il va pas oser en rajouter un’ couch’. »

Le daemon s’arrêta de parler et lança un regard étonnamment expressif à Asa. Mais voyant que l’américaine ne semblait pas prête à faire le pas qui la séparait de la conclusion, il se remit sur ses quatre pattes et ajouta :

« Tu sais très bien qui l’a offert. La seul’ personn’ qu’ait les moyens d’t’offrir ça, qui m’ait connu assez pour fair’ un’ gravur’ aussi ressemblant’ et qui en plus puiss’ vouloir rester anonym’, tu sais qui c’est. Et tu m’forcera pas à prononcer son nom, j’te connais assez pour savoir dans quel état ça va t’mettr’ de l’admettr’. »

Nouveau regard douloureux d’Asa, mais cette fois elle était bien obligée de l’admettre. Oui, elle savait qui lui avait envoyé ce cadeau. En fait, elle l’a su dès que le hibou est arrivé. Pourtant, il n’avait pas utilisé son hibou habituel, celui qui apportait ses lettres à une autre fille du coin.

« J’vais l’tuer. »

« Ah ben tu vois quand tu veux ! »

« Nan… J’vais vraiment l’tuer ! » Elle se releva brusquement, avec une violence qui n’avait pas été en elle depuis bien longtemps. Une rage et une colère qu’elle croyait l’avoir quittée depuis bien longtemps et qu’elle retrouvait encore plus fortes et plus dévorantes que jamais. Elle se mit à son tour à faire les cents pas sur sa marche, sans faire attention aux regards étonnés des gens qui passaient par là et qui voyaient cette Amazone habillée d’un jean noir et d’un débardeur rouge écarlate envahir les escaliers qui menaient aux étages. « J’vais vraiment l’tuer. J’avais aller à Londr’, j’vais trouver sa baraqu’ de fils de rich’ de merd’ et j’vais aller lui casser sa sal’ petit’ gueul’ d’anglais. J’vais lui casser sa p’tit’ gueul’ et ensuit’ j’vais lui rendr’ son cadeau et on verra s’il aura toujours envie d’jouer avec moi après ça. »

La fureur d’Asa effrayait un peu Morth, mais il s’y était attendu. Il n’avait rien à dire pour la calmer, il fallait qu’il attende que l’orage passe. Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir envie de la consoler.

« Asa…. »

« Oh non hein ! Ca va avec tes « Asa » ! J’ai pas envie d’me calmer ! » Pour prouver ce qu’elle disait, elle ficha un coup de poing dans un des murs, tapant tellement fort que ses phalanges craquèrent et que du sang apparut sur sa main, mais elle n’y fit pas attention. « Pourquoi il a fait ça ? »

Le regard bouleversé paniqua Morth. Asa avait l’air de quelqu’un qui était tombé à l’eau sans savoir nager. Elle avait l’air perdue et paniquée. Elle avait l’air de ne plus du tout savoir où elle en était. Et Morth se prit pour la première fois à être en colère contre Adam. Son petit revival était en train de foutre en l’air tous les efforts qu’Asa et Morth avaient fait pour reconstruire, pour l’oublier et pour réussir à le considérer comme du passé.

[A qui veut !]

- Euh, tu sais, c’est un mur alors… à part être là, je doute qu’il ait fait grand-chose.

C’était une tentative d’humour sans doute un peu légère et qui pouvait tomber totalement à plat mais Arieh n’avait pas trop vu quoi faire d’autre. Il descendait les marches menant au rez-de-chaussée et avait croisé deux étudiantes qui ricanaient bêtement à propos d’une fille qui n’avait rien de mieux à faire que d’étaler sa vie en plein milieu des marches. Il n’y avait pas vraiment prêté attention, il ne relevait en général pas ce genre de commentaires et, de toute façon, il avait mieux à faire. En l’occurrence, trouver Kennedy et lui proposer une petite baignade dans le loch, en compagnie de lui-même, de Lauriane et deux autres potes. Avec le redoux, ça pouvait être très fun. Mais, alors qu’il atteignait le bas des marches, il ne put que remarquer qu’Asa les avait effectivement colonisées et arriva au moment précis où elle s’en prenait violemment au mobilier qui ne lui avait pourtant strictement rien fait étant donné sa nature même d’objet inanimé.

Le jeune s’arrêta une marche au-dessus de l’Amazone et lui adressa un sourire gentil en la reconnaissant. C’était la première personne qu’il avait rencontrée ici et même s’ils n’étaient pas devenus les meilleurs amis du monde, ils se croisaient relativement souvent et l’Israélien prenait toujours beaucoup de plaisir à discuter avec elle. C’est pourquoi, en la reconnaissant, au lieu de passer son chemin, comme il l’aurait fait avec n’importe qui d’autre, il s’arrêta et lança sa blague pourrie.

- Qu’est-ce qui ne va pas ?

La blague d’Arieh n’était pas assez forte pour disperser toute la colère d’Asa. Mais l’Amazone, au moins, ne redirigea pas sa colère vers l’israélien, elle se contenta de grogner sombrement et de se laisser tomber sur sa marche. L’agitation n’avait pas disparu mais la présence d’Arieh faisait que l’Amazone était obligée de retomber un peu sur terre. Elle secoua la tête, remettant ainsi ses longues mèches brunes derrière ses épaules, et leva sa main. Elle la regarda un bon moment sans la voir puis grimaça. Ca faisait un moment qu’elle ne s’était pas blessée, pourtant elle n’avait pas perdu ses réflexes. Sans y penser, elle passa son autre main sur ses jointures ouvertes et fit chauffer, permettant ainsi au sang de coaguler et à la peau de commencer à cicatriser. Elle sortit ensuite un mouchoir de sa poche et enleva le sang de sa main.

« Mon ex est un connard, voilà c’qui va pas. »

Elle ne regarda pas Arieh en disant ça. Asa n’était pas le genre de personnes qui se confiait facilement. Elle n’avait parlé d’Adam à personne, à part à Logan un soir où elle lui avait brièvement raconté pour qu’il comprenne pourquoi elle ne voulait absolument pas d’une vraie histoire. Adam était un sujet trop compliqué et encore trop à vif pour qu’elle en parle sainement. Alors elle n’en parlait pas. Principalement parce qu’elle avait l’impression que si elle se mettait à en parler, à dire ce qu’elle pensait vraiment à ce propos, elle passerait pour une midinette de sitcom et que les gens trouveraient ça bien drôle chez Asa James. Etre amoureuse avait déjà été quelque chose difficile à avaler pour l’américaine, qui s’était promis toute petite qu’elle ne laisserait jamais ce genre de conneries influer sur son comportement. Alors avoir été amoureuse et ne pas réussir à guérir de cet amour, être en fait toujours amoureuse d’un mec qu’elle n’avait pas vu depuis plus d’un an et qui refaisait sûrement sa vie tranquillement dans son coin, c’était impossible à admettre.

« C’est mon anniversair’ et il s’est cru obligé d’me fair’ la charité. » ajouta-t-elle en tendant le zippo à Arieh pour le lui montrer.

Bon, il n’avait pas réussi à la faire rire mais, au moins, elle avait l’air d’avoir abandonné ses velléités combatives à l’égard des murs de l’établissement ce que Arieh se permit de compter comme une légère victoire de Canard de sa part. il l’observa se soigner avec une dextérité qui ne pouvait naître que de l’habitude et se demanda brièvement pourquoi elle était si douée à se réparer les phalanges avant d’occulter la question. Son ex était un connard ? Il hocha la tête avec compassion, compréhension et autres mots du même genre, d’un air de vieux sage. Ah ça, les ex, c’était souvent des connards, c’était un peu leur caractéristique principale. Bien sûr, ça n’avait jamais été son cas, mais c’était une autre histoire.

Il se saisit du briquet qu’elle lui tendait et l’examina un instant, le tournant et le retournant dans ses mains. Il ne fumait pas, n’avait jamais fumé, et était donc incapable de savoir ce que ce briquet avait de spécial, incapable de reconnaître la marque du premier – ni du deuxième – coup d’œil, et incapable de réaliser qu’il avait dû coûter un joli paquet de livres sterling. Par conséquent incapable de mesurer l’ampleur du cadeau et donc des dégâts.

- Oh, bon anniversaire ! fut tout ce qu’il trouva à répondre d’abord, ce qui lui aurait sans doute valu le grand prix de la réplique la plus plate et la plus banale de l’histoire de l’humanité. Mais c’était dit avec un si charmant sourire !

Et puis, il lui rendit son briquet et passa doucement la main dans ses cheveux coupés courts, l’air adorable d’un petit garçon qui brûle d’envie de dire quelque chose mais a peur de se faire gronder s’il ose. Finalement, il choisit de se lancer, avec moult précautions d’usage.

- Arrête moi si je me trompe et loin de moi l’envie de prendre sa défense mais… un cadeau… le jour de ton anniversaire… c’est peut-être plus un cadeau d’anniversaire que de la charité non ?

La squatteuse de service entre en scène, heureusement que je dois limiter les topics avec Kath...]

S'il y avait bien une chose que Kath n'avait pas prévu en allant dérouiller un peu Ainir, c'était qu'en rentrant, elle tomberait sur Asa au milieu de l'escalier. Et un autre type qu'elle ne connaissait que de vue. Son balai sur l'épaule, prouvant plus encore sa petite taille, les cheveux attachés en une queue de cheval haute, passablement emmêlés par la séance de vol, une tunique large et un pantalon noir tout aussi évasé, des tennis pour être à l'aise, et pas une trace de maquillage, elle s'était arrêtée sur le palier, en bas de l'escalier sur lequel l'américaine s'était installée. 'Mon ex est un connard' avait-elle entendu avant de voir la propriétaire de la voix qu'elle avait reconnu d'entrée. Elle n'aurait pas décrit Adam ainsi, mais leurs histoires n'étaient pas les siennes, justement; même s'il fût-un temps où elle aurait apprécié, et même si, parfois, elle regrettait de ne pas avoir gardé contact avec l'anglais, mais pour lui dire quoi ? 'Salut, je suis perdue dans la campagne écossaise depuis que Will m'a planté pour Adèle, t'inquiète, tout va bien, je veux juste plus voir personne, mais tout Norsken s'est donné rendez-vous à Sywhaîd ?' De toute façon, ça impliquait d'aller jusqu'à la volière, et il en était hors de question. Elle avait pensé à écrire à sa tante en passant par l'intermédiaire d'Annalda, mais la blonde était toujours entourée de ses bestioles à plumes, alors ça n'était même pas la peine d'y songer... Bref, elle se garda bien de tout commentaire, hésita, mais entreprit finalement quand même de grimper quelques marches pour s'arrêter à quatre ou cinq de celles où les deux jeunes gens étaient assis, obstruant le passage. Elle jeta un coup d'oeil au briquet, à peu près aussi ignorante qu'Arieh, et haussa les épaules.

- Le mien a à peu près autant de considération pour moi que de sa première chaussette. Je sais pas ce que je préférerais... Savoir que j'ai compté pour lui, même si ça fait mal, ou avoir le sentiment qu'en fait, ça n'avait aucune espèce d'importance à ses yeux ?

Depuis quand parlait-elle ouvertement à Asa ? Bon d'accord, elles avaient un peu discuté au réveillon de Yule, mais enfin... Avec n'importe qui; surtout n'importe qui contre le ou laquelle elle aurait quelque grief, l'irlandaise aurait pu redevenir serpentarde et profiter de cet instant de faiblesse pour appuyer là où ça fait mal. Et en définitive, même si ça n'était pas voulu, ce qu'elle disait pouvait tout à fait passer pour ça. Pourtant, son ton de voix et son regard tenaient plus de la compassion que de la mesquinerie et du calcul, aussi étonnant que cela pût paraître à quelqu'un comme Asa, qui l'avait connue avant. Le problème étant qu'Asa n'avait pas vraiment le même fonctionnement qu'elle à ce niveau-là, et quelque part au fond d'elle, elle commençait à se demander si ça n'était pas son petit minois qui allait finir par être la cible des poings de la yankee. De quoi se mêlait-elle aussi ? Avec un geste désinvolte de la main, comme si ce qu'elle venait de dire n'avait pas la moindre espèce d'importance, elle secoua légèrement la tête.

- Chez moi, on dit 'lá breithe sona' dans ces occasions-là...

Bon, un bon anniversaire de sa part, elle n'imaginait pas que ça contente plus que ça la brune, mais tant pis... Elle était plutôt d'accord sur le commentaire du jeune homme, et se gardât bien d'énoncer le commentaire qui se formait dans son esprit : au moins, celui-là de cadeau, il était vraiment personnalisé et utile... Pas comme ceux qu'elle recevait elle la plupart du temps...

[Dadam déchaîne toujours les foules, même quand il n’est pas présent !]

Asa sourit vaguement quand Arieh lui souhaita un joyeux anniversaire. Elle avait toujours eu du mal à réagir à ce genre de choses, tout comme elle avait toujours eu du mal à réagir aux compliments ou aux cadeaux, entre autres. Elle allait ajouter quelque chose mais elle vit une crinière rousse en bas de l’escalier. Sa première pensée fut de se dire qu’il ne manquait plus que ça. Kathaleen ! Juste le jour où Adam refaisait surface. Elle manqua d’accueillir la jeune femme en lui disant que ça n’était pas vraiment le moment aujourd’hui de venir dans le coin mais Kath dit quelque chose qui surprit assez Asa pour qu’elle ferme son clapet. Voir Kath se confier était au moins aussi rare que de voir Asa le faire, c'est-à-dire aussi rare que la neige en été, que de voir Zephira avec l’air malade ou que de voir Waylon en complet veston. Asa inclina d’ailleurs la tête de côté et fixa la rouquine avec l’air de comprendre ce qu’elle avait voulu dire. Elles avaient beaucoup plus de points en communs qu’elles avaient bien voulu l’admettre.

« Un cadeau d’anniversair’ d’la part d’mon ex, qu’j’ai pas vu d’puis plus d’un an, à qui j’ai ni écrit, ni parlé d’puis tout c’temps. Désolée Arieh, mais j’considèr’ pas ça comm’ un simpl’ cadeau. Ther’s a cat. »

Elle secoua la tête et fit signe à Kath de les rejoindre complètement si elle le voulait. Elle ne savait pas trop ce qui lui prenait. Parler de ses histoires n’était pas son truc, jusqu’à présent elle avait toujours réussi à régler ses problèmes toute seule et elle en était fière. Mais là, elle n’avait pas envie d’être seule. Elle récupéra le zippo et l’ouvrit une nouvelle fois, faisant surgir une jolie flamme. Elle réalisa qu’elle devait expliquer un peu mieux la situation si elle voulait qu’Arieh comprenne mais elle ne savait pas quoi dire et quoi taire. Kath savait déjà la plupart des choses mais elle n’avait pas envie de laisser l’israélien dans le flou. Elle fut tentée de poser une question sur Will à la rouquine mais se retint, se disant que ça déterrerait forcément la hache de guerre qu’elles venaient à peine d’enterrer. Elle croisa soudain le regard de Morth et elle sentit que si elle voulait parler d’Adam, c’était le moment où jamais.

« Adam est pas un connard. Enfin, pas normal’ment. C’est moi qui l’ait été. Y a plus d’un an, ma nièc’ a eu des grav’ problèm’ d’santé et j’ai dû partir d’Norsken, l’endroit où j’étais. J’étais avec Adam à cett’ époqu’ et j’suis partie sans rien lui dir’. J’ai fait ça avec tout l’mond’ là-bas. J’pensais qu’ça s’rait plus facil’ à vivr’, tant pour eux qu’pour moi… Et j’savais pas quand j’pourrais r’partir d’New-York, j’devais m’occuper d’ma sœur et d’ma nièc’ et j’voulais pas avoir… J’voulais pas avoir envie d’r’tourner à Norsken, j’avais b’soin d’être complètement à c’que j’faisais à New-York, vous voyez ? »

Elle racontait autant à Kath qu’à Arieh, parce qu’elle se disait que son ancienne camarade n’avait sûrement pas vu les choses comme ça. Elle imaginait bien qu’à son départ, sans un mot pour personne, il y avait dû avoir des théories plus avilissantes les unes que les autres. Elle n’était pas beaucoup aimée à Norsken.

« Et j’ai jamais donné d’nouvell’ à Adam, mêm’ pas un’ fois qu’ça a été plus calm’. Sauf qu’ quand j’suis arrivée ici, y avait Zelia, la meilleur’ amie d’Adam. Et donc il a su qu’j’étais ici… Et maint’nant, il profit’ d’mon anniv’rsair’ pour m’fair’ un cadeau hors de prix alors qu’il sait très bien comm’ ça m’énerv’. Et il m’envoie mêm’ pas un’ cart’ avec. Comm’ si... » elle plissa les yeux, cherchant à trouver comment exprimer les choses. « Comm’ si c’tait un jeu. Comm’ si ça n’avait pas d’importanc’. Comm’ pour m’dir’ qu’il veut bien êtr’ mon pot’ ou j’sais pas quoi d’ce genr’ mais moi j’veux pas. J’regrett’ pas c’qu’j’ai fait mais j’veux pas subir c’genr’ de trucs. J’veux pas qu’à chaque fois qu’môssieu déprim’ il m’envoie un truc pour s’donner l’impression d’avoir un’ relation privilégiée avec quelqu’un. Ca fait plus d’un an qu’c’est fini. On a nos vie, c’est tout. »

Elle s’arrêta, presque essoufflée. Elle n’avait jamais autant parlée d’Adam qu’aujourd’hui. Et elle ne savait toujours pas ce qui lui avait pris. En parler à un presque inconnu et à une fille qui l’avait longtemps considérée comme une ennemie. C’était…. Trop bizarre pour elle. Pas du tout le genre de choses qu’elle faisait normalement.

Une autre fille s’était approchée pendant qu’Arieh souhaitait, en dépit de l’évidence, un bon anniversaire à Asa, une fille qu’il ne connaissait pas, même s’il avait déjà remarqué sa crinière rousse ici et là mais qui, visiblement, connaissait Asa et n’avait aucun mal à déballer sa vie sentimentale. C’était peut-être l’escalier. Le regard d’Arieh passa de l’une à l’autre. Etait-il censé participer à cette réunion tupperware en disant que, lui aussi, son ex l’avait traité comme un chien ? Ce qui n’était d’ailleurs pas le cas, Kinga avait été très correcte ; ça n’avait pas rendu la rupture moins douloureuse mais il était assez honnête pour admettre que, objectivement, il n’avait rien à lui reprocher. Et puis, visiblement, on faisait leur fête aux mecs ici, les filles étaient les victimes.

Asa enchaîna avec ce qui ressemblait de loin à une explication : elle n’avait pas vu ni communiqué d’aucune façon avec son ex d’aucune façon en un an, non, plus d’un an, et il y avait donc forcément anguille sous roche. Telle était l’histoire, en substance. Bon, il y avait une anguille, ou un chat, possible, et alors ? Il y avait toujours des chats quand il y avait des exs, c’était bien connu. Mais ce chat là, à quoi ressemblait-il ? Est-ce qu’elle ne mourait pas d’envie de le savoir ? L’ex en question avait bien joué son coup s’il voulait renouer le dialogue, Arieh n’aurait pas tenu, il aurait repris contact pour savoir si le chat était noir ou tigré.

La rouquine les rejoignit et le jeune homme sortit une tablette de chewing-gum de la poche de son jean. Après en avoir proposé à la cantonade, il en sortit une dragée et se mit à la mâcher pensivement tandis qu’Asa racontait son histoire. Le Loch pouvait bien attendre, l’épisode des Feux de l’amour commençait tout juste. Un dénommé Adam donc qui n’était finalement pas un connard, Arieh, au nom de la gent masculine, était ravi de l’apprendre. Par contre, Asa en était un, de connard, ce qui était pour le moins surprenant. Un connard parce qu’elle était partie sans rien dire, sans même laisser un mot. Ce n’était effectivement pas très chevaleresque comme attitude, il fallait le reconnaître. Etrange vu qu’elle partait aider sa sœur et sa nièce et que ça, pour le coup, ça l’était, chevaleresque.

Arieh acquiesça. Il ne voyait pas mais il voulait bien faire comme si. Couper les ponts, il ne savait pas faire. Il ne savait pas non plus garder une correspondance régulière et assidue avec la multitude de ses connaissances mais quitter un endroit complètement, ne garder aucun attache, il ne pouvait pas. Bon, ensuite, elle ne s’était jamais manifestée, ça semblait cohérent. Et à Sywhaîd, il y avait la meilleure amie dudit Adam qui lui avait appris la présence d’Asa, qu’elle devait donc connaître. Et Adam avait décidé de se manifester pour la première fois depuis plus d’un an en offrant un cadeau hors de prix, qui n’avait l’air d’être qu’un briquet aux yeux d’Arieh mais passons. Ce qu’elle voyait comme un jeu et n’appréciait vraiment, mais alors vraiment, pas !

Quand la jeune femme s’arrêta de parler, probablement à bout de souffle, il aurait sans doute abandonné plus tôt, il se sentit obligé de prendre la parole, au nom et en défense du sexe masculin tout entier, dont il était ici l’unique représentant, force était de le reconnaître. Même si ça le mettait mal à l’aise de parler d’histoires de cœur qui lui était totalement étrangères et de prendre parti pour un mec qu’il ne connaissait ni d’Eve, ni d’Adam, c’était le cas de le dire.

- Mais tu crois pas que… que c’est juste une perche qu’il te tend ? Pour voir si tu veux bien reprendre le contact ? C’est peut-être pas qu’il veut se donner l’impression d’avoir une relation privilégiée avec toi, juste ravoir une relation avec toi ? Pause. Enfin… j’sais pas, j’dis ça… j’dis rien…

Kath hésita quand Asa lui fit signe de s'installer. "S'installer", genre, on est super copines, tu peux rester, même si je raconte des trucs personnels. Asa. Lui parler de trucs persos... à elle. Il devait y avoir une erreur dans l'énoncé là... et la rousse écouter les histoires personnelles des autres, et de la gente féminine qui plus est ? Nan, là, c'est plus une erreur, c'est un paradoxe, c'est tout simplement impossible...

Ou pas. L'irlandaise ne savait pas trop pourquoi, mais elle répondit par un hochement de tête et s'installa une marche en dessous des deux autres. Ou peut-être justement que si, elle savait pourquoi. Peut-être justement parce qu'elle évoquait Adam : un des rares types qu'elle eût pu considérer "juste" comme un ami. Bon, elle mentirait en disant qu'elle avait espéré autre chose au départ mais... à tout bien y réfléchir, c'était aussi bien comme ça.

Plusieurs fois, elle hocha presque imperceptiblement la tête au discours de la brune, songeant qu'elle aussi, elle était partie sans rien dire, et se demandant comme Adam l'avait pris, d'ailleurs, de la voir elle aussi disparaître. Elle n'était pas sa meilleure amie, mais elle était quelqu'un d'un minimum proche de lui à l'époque, enfin c'était ce qu'elle avait pensé. Pas assez pour qu'elle parvienne à se confier cependant, mais elle ne se faisait aucune illusion à ce sujer : c'était sans doute quelque chose qu'elle n'arriverait jamais vraiment à faire. Quoique, Asa le faisait bien, là, tout de suite, et elle avait amorcé une ébauche de discussion elle-même... De là à la reprendre, il y avait de la marge.

Et puis Asa, au moins, était partie pour une bonne cause... L'irlandaise était partie comme une voleuse, pour quoi au final ? Se protéger ? Manifestement, c'était raté... Elle enviait presque Asa de parvenir à dire "Ca fait plus d’un an qu’c’est fini. On a nos vie, c’est tout." Elle en était parfaitement incapable. Même le dire sans le penser, c'était au-dessus de ses forces.

Le type proposa un chewing-gum, qu'elle déclina poliment, pas très friande des sucreries chimiques en général tant qu'il ne s'agissait pas de chocolat et elle l'écouta presque religieusement. Elle n'avait pas vraiment de réponse à apporter, elle n'était pas vraiment douée pour les relations vraies, et même si Adam n'était pas un Reven pour rien, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'il n'aurait pas eu envie de manipuler la yankee. LE reste du monde dans son entier peut-être, mais pas elle... Aussi garda-t-elle le silence, bien qu'elle acquiesçât succinctement d'un signe de tête.

Asa avait accepté le chewing-gum et l’avait collé dans sa bouche au moment où Arieh commençait son hypothèse. Elle était tellement énervée, bouleversée et stressée par cette histoire qu’elle se mit à mâcher la gomme comme si sa vie en dépendait. Sa mâchoire se contractait au rythme des mastications, faisant de son profil un profil beaucoup plus acéré qu’habituellement. Quand elle mâchait comme ça, ses fossettes disparaissaient et ses joues semblaient soudain beaucoup plus osseuses, comme si son stress faisait disparaître les formes qui adoucissaient habituellement son visage. Elle réalisa soudain qu’elle devait sûrement faire beaucoup de bruit avec le chewing-gum en question, et que le silence était installé depuis un peu trop longtemps pour ne pas être gênant. Elle déglutit et murmura :

« Whatever… »

Elle n’avait pas envie de reprendre contact avec Adam mais elle n’avait pas envie de l’expliquer à Arieh et Kath. Elle aurait été obligée de leur dire qu’elle était encore amoureuse de son ex et ça, c’était un peu trop personnel. Asa n’était pas le genre de personnes qui s’épanches des heures et des heures sur leurs histoires d’amour. Elle n’avait jamais dit à personne, à part au premier concerné, qu’elle aimait Adam à l’époque, elle n’allait pas s’y mettre aujourd’hui. En plus, l’idée de passer pour une gamine ridicule de romantisme n’était pas vraiment faite pour lui plaire. Elle haussa les épaules et soupira avant de faire une bulle avec son chewing-gum. Elle n’en mâchait pratiquement jamais parce qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de faire du bruit avec et que ça énervait les autres, en plus ça avait tendance à l’énerver aussi cette mastication sans fin.

« J’vais lui écrir’ pour lui dir’ qu’j’veux pas r’prendr’ contact… C’t’absurd’ mais bon… »

Un sourire désabusé passa sur son visage et elle tira sa crinière en arrière pour ne plus avoir de mèches devant les yeux. Pour elle, le sujet était clos, enfin pour le moment, elle n’avait pas envie de s’étaler plus sur sa vie privée devant deux quasi-inconnus, ou presque. Elle haussa de nouveau les épaules, mastiqua de plus belle, avant de lancer dans un soupir :

« Ahh… Les mecs… Si seul’ment on pouvait s’en passer… »

Elle laissa éclater un rire rauque avant de donner un petit coup d’épaule à Arieh pour montrer qu’elle rigolait. Elle avait l’air de s’être remise, mais ça n’était pas le cas. Elle faisait bonne figure parce qu’elle ne voulait pas continuer sur la pente du « je me confie devant n’importe qui » qui n’était pas vraiment son genre. Elle était déjà allée trop loin, même si Morth aurait sûrement dit que c’était bien comme ça. Le hérisson essayait de la convaincre de s’ouvrir plus, mais ils n’en étaient pas encore à parler à n’importe qui.

Oui, whatever… Asa mâchait le chewing-gum comme si sa vie en dépendait ou, plus exactement, comme si elle passait ses nerfs sur l’innocent Freedent. S’il avait su, Arieh se le serait peut-être gardé. Lui était complètement accro aux boules de gomme et s’en procurer à Sywhaîd n’était pas une mince affaire alors en voir un servir de punching-ball de la sorte, ça lui fendait le cœur. Oui madame, parfaitement, ça lui fendait le cœur.

Il pouffa doucement devant l’absurdité évidemment évidente du concept de reprendre contact pour dire qu’on ne le ferait pas. Ah les filles ! Visiblement, les pensées d’Asa suivaient le même cours vu qu’elle lança la même phrase. En changeant le sexe des concernés comme de bien entendu. Il sourit de plus belle au coup d’épaule, signe clair qu’elle reprenait le dessus sur sa déprime.

- On est désolés… répliqua-t-il avec un air faussement contrit, reprenant une nouvelle fois le rôle de porte-parole de l’ensemble du sexe mâle. En même temps, sans nous, vous vous feriez tellement plus chier… !

Sur ses mots, il se remit lestement sur ses pieds, épousseta distraitement son jean au niveau des genoux et baissa les yeux vers les deux demoiselles dont il venait incidemment de partager un peu la vie.

- Bon les filles, j’étais en chemin vers le Loch, on allait piquer une tête avec deux trois potes, si ça vous tente, vous les êtes es bienvenues…

Un soupir passa les lèvres de Kath quand Asa reprit la parole.Si seulement on pouvait s'en passer... Sans commentaire... Tout aurait été tellement plus simple si elle avait pu se passer de Will, si elle avait pu le virer de sa chambre le premier soir comme elle l'avait fait avec tous les autres... Elle aurait perdu les quelques mois où elle avait été heureuse avec lui cependant, et elle savait au fond d'elle que non, ça n'aurait pas été mieux. Juste différent. La yankee reprenait du poil de la bête, dirait-on, et le regard de l'irlandaise resta sur elle un instant, se demandant à quel point c'était sincère, à quel point c'était forcé pour changer de sujet. D'ailleurs, le jeune homme qui les accompagnait relançait sur l'idée d'une baignade dans le loch, et la rousse secoua légèrement la tête, avant de se relever à son tour.

- C'est sympa de proposer, mais ça sera sans moi.

Elle sourit légèrement, comme pour s'excuser de décliner l'invitation. Elle n'avait pas envie d'expliquer le pourquoi de son refus, mais rien que l'idée pouvait la faire trembler. Elle n'avait jamais appris à nager, trop effrayée par sa rencontre inopinée avec le lac Coirib quand elle était petite, et bien qu'elle fût liée à l'élément eau, elle n'avait jamais dépassé le stade de 'je ne me baigne que là où j'ai pied'. Ainir de nouveau posée sur son épaule, elle resta contre le mur pour permettre à Arieh de descendre, et remonterait ensuite dans sa chambre. C'en était bien assez de contacts sociaux pour une journée, là, bien plus qu'elle n'en avait eus pendant longtemps, et elle n'avait qu'une envie : retrouver sa chambre et une solitude à laquelle elle s'était presque habituée, finalement...

Asa laissa échapper une sorte de grognement sceptique quand Arieh dit que les femmes s’ennuieraient sans les hommes, mais l’air amusé qui flottait sur son visage était là pour montrer qu’elle n’était pas sérieuse. A vrai dire, avant Adam, Asa ne voyait les homme que pour deux utilités : être des potes avec qui elle pouvait être elle-même (ils s’offusquaient moins de la voir agir comme elle agissait que les nanas) ou servir à s’amuser (sans qu’il y ait une once de manipulation là-dedans, Asa était toujours très claire dans ses objectifs). Mais quand elle avait été avec Adam, elle avait compris comment certaines personnes considéraient les hommes comme impossible à exclure de leur vie. Depuis Adam, elle n’avait pas vécu ça de nouveau et essayait de l’éviter. Avoir tellement besoin d’une personne était quelque chose qui l’effrayait, elle aimait son indépendance.

Elle se leva en même temps qu’Arieh, et que Kath et sourit à la proposition d’Arieh. Comme Kath, l’eau n’était pas vraiment ce qu’elle préférait pour s’amuser, mais là elle sentait qu’elle avait besoin de se vider la tête, et le Loch le lui permettrait, d’une certaine façon il éteindrait le feu de colère qu’Adam avait déclenché en elle.

« Okay, j’te r’joins au Loch, j’dois aller chercher mon maillot… »

Elle sourit puis monta quelques marches alors qu’Arieh se dirigeait vers le Loch. Au dernier moment, quand Arieh fut à une distance suffisante pour ne pas l’entendre, elle se retourna vers Kath, plongea son regard volontaire dans le sien et lui dit, avec un naturel presque brutal :

« Merci Ginger, j’pensais pas qu’tu pouvais êtr’ aussi sympa, j’comprends pourquoi il t’appréciait autant. »

Elle parlait de Will, ça ne faisait aucun doute, mais elle ne s’étala pas sur le sujet. Elle fit un nouveau sourire, carnassier au possible mais doux aussi d’une certaine façon, puis fila dans sa chambre chercher son bikini orange. Elle en profita pour poser le briquet sur sa table de nuit, elle n’était pas encore fixée à son sujet.