Love you like a love song

[25 décembre au matin]

Ce fut d’abord un bruit de cavalcade qui les réveilla. Pour faire un bruit pareil, il fallait bien une horde. Arieh, même avec son esprit encore embué par le sommeil, compta au moins trois paires de pieds courant dans le couloir en direction de la chambre qu’il partageait avec Emily. Il attrapa la main d’Emily sous la couette et la serra dans la sienne en guise d’avertissement et de réconfort. Les pas de la horde s’étaient encore rapprochés, l’assaut était imminent. Effectivement, la poignée de la porte tourna doucement et, quelques secondes plus tard, les attaquants bondirent sur le lit conjugal. Arieh écopa du chien qui s’allongea en travers de sa poitrine en remuant la queue et tenta de le lécher au visage, ce qu’Arieh ne supportait pas. Emily eut plus de chance, car elle fut assaillie par Sean, qui pesait tout de même moins lourd qu’un labrador adulte.

- Maman, cadeaux ! exigea leur fils d’une voix fluette tandis qu’Arieh repoussait le chien au pied du lit. Aba, matanot, enchaîna Sean qui se disait sans doute que le fait de le demander en deux langues différentes multiplierait par deux la quantité de cadeaux disponibles au pied du sapin.

Quelques minutes plus tard, enveloppés chacun dans leur robe de chambre et une tasse de café à la main, les deux parents observaient leur fils se débattre avec les papiers cadeaux et s’extasier devant une ménagerie en bois (courtoisie de la menuiserie sywhaîdienne) et une boîte de Kapla, cadeaux de ses parents, ainsi que de multiples autres jeux envoyés par ses grands-parents, oncles et tantes de tous pays, dont une batterie miniature que les deux adultes allaient probablement maudire rapidement et durablement. Pendant ce temps, le chien déchiquetait consciencieusement le jouet en caoutchouc qu’il avait reçu.

Il était si tôt qu’il faisait encore nuit. La lande sommeillait et la lumière de leur salon était la seule déjà allumée parmi les petites maisonnettes de leur « quartier » comme l’appelait Arieh en riant. Posant son café, il entoura Emily de son bras et l’invita à poser sa tête sur son épaule. La serrant contre lui, il dépose un baiser sur son crâne.

- Regarde-le, chuchota-t-il, comme si les yeux d’Emily n’étaient pas déjà posés sur Sean qui essayait de faire tenir un gorille en équilibre sur un crocodile en bois. Tu ne le trouves pas un peu seul ? ajouta-t-il soudainement.

L’idée d’agrandir la famille et de donner à Sean des compagnons de jeu à domicile (en plus de Baby John qui était déjà un peu comme un grand frère) n’était pas nouvelle et avait déjà été discutée entre eux, mais, en ce moment, Arieh y pensait de plus en plus. Maintenant qu’il avait son mini-moi, il voulait une mini-elle. Il voulait que ses deux enfants soient proches en âge, pour pouvoir être proches tout court, comme lui l’avait été de sa sœur. Et puis, il ne pouvait s’empêcher de penser que s’ils mettaient autant de temps pour la deuxième que pour le premier, il valait mieux s'y mettre vite.

Emily était en train de courir après un hibou-chat fuyant à travers les bois lorsqu’une cavalcade se fit entendre derrière elle. Elle eut beau accélérer le rythme, le décor sembla se figer autour d’elle tandis que les pas continuaient d’approcher. Une main saisit finalement la sienne, la tirant de sa fuite et de son rêve par la même occasion.
La jeune femme serra doucement les doigts d’Arieh et ouvrit péniblement les yeux. Elle n’avait jamais été du genre matinal et le réveil était généralement une épreuve, surtout depuis la naissance de Sean.
Ce matin-là, elle eut tout juste le temps de replacer une touffe de cheveux hirsutes et d’essuyer un filet de bave d’un revers de manche peu gracieux avant de subir l’attaque des assaillants.

Quelle heure pouvait-il bien être ? Un coup d’œil par la fenêtre lui indiqua qu’il était bien trop tôt pour se lever, mais elle se contenta de sourire aux propos de son fils et de caresser ses joues encore rouges de sommeil. Noël. Evidemment ! Quel enfant n’aurait pas été excité à l’idée d’ouvrir ses cadeaux ?

- Ça va, ça va. On arrive, dit-elle en repoussant la couverture avec une certaine nostalgie pour ces Noëls passés où elle avait elle-même trépigné d'impatience pour découvrir ce qu'il y avait sous le sapin.

Elle rit doucement, s'extirpa du lit et suivit Arieh dans le salon. Le temps que leur café chauffe, le pied du sapin était déjà jonché de papiers multicolores déchiquetés. Les yeux rivés sur leur fils, Emily s’approcha d’Arieh et se lova contre lui. Elle sourit lorsqu’il l’embrassa et lui rendit un baiser tendre sur la joue avant de reporter son attention sur Sean.

- Seul ? Tu trouves que le crocodile, le singe, la vache et la demi-douzaine d’autres animaux ne suffisent pas ? Plaisanta-t-elle.

Elle savait évidemment où Arieh voulait en venir. Ils avaient déjà abordé le sujet plusieurs fois, évoquant la possibilité prochaine d’offrir à Sean un petit frère ou une petite sœur, mais le sujet n’avait jamais abouti à une réelle décision ferme et réciproque. C’en était resté à l’état de projet. Pourtant, tout comme pour Arieh, l’idée faisait son chemin du côté d’Emily. Issue d’une famille nombreuse, l’idée d’une tribu identique à la sienne lui plaisait bien et même si elle avait été réticente à se mettre en route pour Sean, elle se sentait prête désormais à renouveler l’expérience. Mais l’idée de faire mariner Arieh lui plaisait encore plus.

- Je ne le trouve pas si seul que ça personnellement. Reprit-elle, espiègle. Regarde, dit-elle en désignant le labrador étalé de tout son long sur un gros tigre en peluche, il a Boule de poils comme fidèle garde du corps. Et il y a John aussi. Et puis toi. Quatre hommes à la maison c’est beaucoup pour une seule femme. Je pense que c’est largement suffisant, tu ne crois pas ?