Music was my first love...

L’escalade avait été éprouvante et pas seulement par l’effort qu’il avait fallu fournir. Fabian savait aussi ce qu’il laissait derrière lui, en connaissance de cause, certes, mais le sacrifice n’en restait pas moins douloureux. Quand enfin il parvint au sommet, ce fut pour se dresser sur une étendue pour l’heure encore parfaitement brumeuse, toujours enchantée par la Brume. Immobile, il plongea les mains dans ses poches, et la droite effleura le médiator, seul vestige de son attachement à la musique. Il ferma les yeux, ses doigts parcourant la tranche du petit objet, cadeau de Marie. Si le but avait été de lui donner quelques instants de répit, si, en effet, l’effort terminé, il avait senti ses muscles se détendre un peu, son souffle reprendre un rythme plus lent, ses traits restés crispés, et son regard plutôt dur. Enfin, la Brume se dispersa, et il posa pour la première fois les yeux sur Sywhaîd, la fameuse, celle qui avait tant marqué, apparemment, les vies de sa mère et de sa cousine, celle qui passionnait tant Gaëtan.

La ville s’élevait au loin, et devant lui, à quelque distance encore, se dressaient des bâtiments plus grossiers, sans doute quelque lieu de stockage. Ca lui rappelait vaguement les usines des périphéries des anciennes villes minières. Les mains dans les poches, il s’en approcha. Que pouvait-il faire d’autre de toutes les manières ? Il n’y avait pas trace de Gaëtan où que ce fût et l’absence de son cousin l’inquiétait légèrement. Il ne s’en était pas rendu compte tout d’abord, mais voilà qu’il se trouvait face à un gros sac de voyage, et surtout, surtout, face à… Il ferma les yeux, presque certains d’halluciner, pourtant lorsqu’il les rouvrit, l’étui et le sac étaient toujours présents. Il leva un instant les yeux au ciel, la mâchoire toujours serrée, comme en une prière muette, ou peut-être en signe de réprobation ? Et puis, il parcourut les quelques pas qui le séparaient de ces deux bagages abandonnés.

Il avait commencé par ouvrir le sac, sans doute parce que c’était la solution de facilité, et hocha la tête devant son contenu. Ca n’étaient pas ses affaires, mais ça aurait pu. Tout à fait le genre de ce qu’il portait habituellement. Tout était neuf, assurément. Des T-Shirts de ses groupes favoris, aux jeans bleus ou noirs, délavés ou non, troués aux genoux, en passant par les chemises unies, bleu marine, rouges, blanches, ou noires… Même quelques pulls dignes de ceux que sa mère avait pu lui offrir à Noël il y avait quelques années déjà – parce que ça faisait un moment qu’il ne la voyait plus à Noël avant son décès – et un nouveau blouson de cuir, le sien ayant été délaissé, parce que trop peu commode avec le harnais d’escalade. Il l’enfila d’ailleurs, et plongea la main par réflexe dans la poche intérieure. Réflexe idiot, parce qu’à l’évidence, il n’y trouverait pas son paquet de cigarette et son briquet, restés dans l’autre. Ce qu’il regretta : à cet instant, il aurait payé cher pour pouvoir en griller une. Avant de s’attaquer à la partie la plus difficile.

Il se décida finalement à tourner la tête vers l’étui. Une main fébrile l’attrapa par le manche, comme il déglutissait avec peine. Une nouvelle guitare, alors qu’il venait d’accepter de renoncer à la musique, était-ce une mauvaise blague de la Brume ? Lorsqu’il parvint à l’ouvrir, à se décider à le faire, surtout, ce fut pire encore que ce qu’il avait imaginé. Ca n’était pas le même modèle que celle qu’il avait laissé dans le bûcher avant l’ascension, non, c’était celle dont il avait toujours rêvée, tout en sachant pertinemment qu’il ne pourrait jamais se l’offrir. Le bois sombre avait été poli et laqué de noir, et la caisse de résonance s’ornait d’une rose d’argent, à l’identique du médiator qui ne quittait pas sa poche. Il l’avait tournée et retournée entre ses mains plusieurs fois, mais le doute n’était pas permis. Il connaissait le modèle par cœur. Alors il reposa l’instrument, et ferma les yeux, une main venant masquer les larmes qui s’y accrochaient. Ca avait été particulièrement difficile de laisser tout ça derrière lui. Tout ça pour quoi ? Il ne comprenait pas bien, tout ce qu’il savait, c’était que là, c’était plus qu’il n’en pouvait contrôler, et il resta immobile un long moment. Seules sa respiration hachée et cette main sur son visage témoignaient d’un très grand trouble.

Tout à l'heure, il finirait bien par trouver quelqu'un pour le guider. Tout à l'heure, il finirait par retrouver Gaëtan. Mais pour l'instant, il n'était plus vraiment capable de rien...

Gaetan s'était ennuyé une bonne partie de la journée, et pour cause : il était resté dans sa chambre, avec pour seule compagnie celle de Sarah et d'un bouquin de Magie Partagée sur lequel il avait pratiqué tous les test possibles avant de l'ouvrir : armé d'un masque à gaz, il l'avait retourné dans tous les sens à l'aide d'un tisonnier, avait vérifié qu'aucune réaction ne survenait s'il le frappait violemment avec une branche de sapin en proférant des incantations, et avait terminé par l'asperger de désodorisant pour toilettes (on ne sait jamais).
Pour finir, il ne l'avait même pas lu, décidant qu'il serait plus prudent de le laisser un jour ou deux dans son placard (fermé à clef), histoire d'être sûr qu'il ne s'agissait pas d'un livre-bombe-à-retardement destiné aux non-sorciers imprudents qui se seraient aventurés à l'emprunter. Il avait donc "empoché" sa petite souris, et était passé voir Zofia pour lui demander si elle avait besoin de son aide, mais elle n'était pas là, et le jeune garçon avait décidé d'effectuer une petite promenade, parce que c'était bon pour la santé, mais aussi parce qu'il n'avait strictement rien d'autre à faire. Ses pas le menèrent en direction des fabriques, comme souvent. Mis à part Zofia, il n'y avait pas rencontré grand-monde, et ça lui allait bien comme ça. Dépassant les bâtiments les plus proches de l'école, il poursuivit sa route, perdu dans ses pensées.
Lesquelles furent interrompues par une silhouette qui se profila dans la trajectoire qu'il avait prévu de suivre. Il allait donc opérer un détour en apparence innocent, quand, dans un sursaut, il fut interpelé par l'allure du personnage qu'il lui semblait tout à coup reconnaître. Le Belge s'approcha prudemment, particulièrement méfiant.

- Fabian ??

Un mélange de surprise, de soulagement et d'irritation. S'il n'était pas vraiment ravi de retrouver son cousin, celui-ci représentait tout de même un des seuls non-sorciers qu'il avait rencontrés jusqu'à présent, mais aussi une source potable de conversation décente.
Le premier mouvement de surprise passé, Gaetan demanda, gêné de son accueil peu chaleureux :

- Alors, euh... T'as réussi ta quête alors ?

Non. Sans blague.
Il jeta un coup d'oeil à la magnifique guitare que tenait un Fab apparemment bouleversé.

- Ca va ?

Hors de question d'avoir un mort sur les bras. Il n'était pas courageux, il voulait bien le reconnaître, mais il déclinait toute responsabilité en cas de décès ou d'évanouissement en sa présence !

Avant sa voix, ce furent les pas de son cousin - dont il ignorait encore l'identité - qui sortirent Fabian de sa position presque prostrée. Hors de question qu'on s'apitoie sur son sort. Il avait rapidement séché les premières larmes qui n'avaient pas décroché de ses yeux, et reprit un semblant de contenance. Et quand Gaëtan cita son prénom, il releva enfin la tête, hocha simplement celle-ci en guise de réponse à son interpellation, et rangea la guitare dans son étui, ses gestes précis, méticuleux, trahissant l'importance de l'objet. Il referma de même le sac de vêtements et autres effets personnels, et harnachait le tout sur son dos et ses épaules lorsque son cousin lui posait la question dont il avait déjà la réponse sous les yeux.

- Toi aussi... souffla-t-il, d'une voix presque atone. Ca a été ?

Eluder la question concernant son état de santé et/ou d'esprit n'avait pas vraiment été volontaire, plus un réflexe qu'autre chose. Ce qui l'inquiétait davantage, c'était ce que l'adolescent face à lui avait pu subir, et même s'il avait l'air d'aller bien à l'heure actuelle, de par sa propre expérience, il redoutait les sacrifices que son cousin avait pu devoir faire. S'il avait souffert, Marie lui en voudrait sans doute. Et il s'en voudrait assurément, peut-être même plus que sa cousine, d'ailleurs. Immobile face à lui, Fabian songeait que Gaëtan avait tout de même l'air particulièrement serein, ce qui n'était pas son propre cas, malgré ses efforts pour le masquer. Et une autre question lui vint à l'esprit, qu'il ne chercha même pas à retenir.

- Ca fait longtemps que tu as... terminé ?

Involontairement, Gaetan esquissa une petite grimace, mi-gênée, mi-moqueuse. Bien sûr que non, ça n'avait pas été : d'après ce qu'il avait compris, la Quête n'était une partie de plaisir pour personne... Mais allait-il l'avouer à ce cousin censé le couver comme une mère-poule ? Certainement pas.

- Oh, ça allait... Rien de bien... euh... compliqué.

Le jeune garçon se découvrait peu à peu un orgueil, une fierté à préserver. Rougissant légèrement de son mensonge, il retourna la question :

- Et toi ? Pas trop long ?

Il avait beau ne pas porter son protecteur dans son coeur, il ne put s'empêcher de le regarder avec une certaine anxiété. Certes, il se souvenait avoir été bouleversé en sortant de la Brume, mais maintenant qu'il avait repris du poil de la bête, il ne pouvait croire qu'il faisait alors la même tête que celle qu'il avait en face de lui. Encore que, lui avait rencontré Tibère...

Si j'avais su, je serais d'ailleurs sans doute resté dans la Brume, songea-t-il.

Adoptant une nonchalance où ne devait se refléter aucune inquiètude, le Belge fourra maladroitement les mains dans ses poches. Cet exercices de simulation était nouveau pour lui, et il ne s'en sortait guère, d'autant plus que cette attitude paisible ne ressemblait en rien à la sienne.

- Oui, il y a un bout de temps que je suis arrivé... Enfin... pas tellement... Je suis sorti avant les fêtes. J'ai, euh... j'ai rencontré plusieurs personnes, j'ai suivi des cours, aussi... Ah, et puis je suis assistant apothicaire...

Il s'emmêlait les pinceaux, comme toujours. Embarassé, il fit un geste évasif en direction des bagages de Fabian.

- Tu... tu veux que je t'aide à les porter ?

Avec un haussement d'épaules, il ajouta :

- On ferait mieux de rentrer, je pense. Et... tu veux sûrement manger, te reposer...

Fabian hocha simplement la tête à la réponse de son cousin. Bon, il avait l'air d'aller bien, même si l'hésitation visible sur le rien de... compliqué prouvait le contraire et l'inquiétait un peu. Pourtant, il ne revint pas sur le sujet, ça n'aurait fait que braquer davantage l'adolescent - il n'aurait lui-même sans doute pas réagi autrement... Gaëtan eut cependant la délicatesse de rougir légèrement de son propre mensonge, et son aîné haussa simplement ses épaules déjà chargées à la question sur sa Quête. Long ? Apparemment, oui, bien qu'il ne lui eût pas semblé y avoir passé plus de quelques heures... enfin disons peut-être une journée, mais certainement pas suffisamment pour que son protégé lui indique être lui-même arrivé "avant les fêtes". Le regard du musicien s'agrandit quelque peu, et il répéta, incrédule.

- Avant les fêtes ? Tu peux me dire quel jour on est censé être ?

La surprise avait au moins l'avantage de remplacer le mal-être précédent, au moins en partie. Et s'il devait se faire violence tout à l'heure pour conserver un masque si ce n'est paisible, au moins pas complètement catastrophé, il songea à cet instant que le fils de Marie n'était peut-être pas bien plus doué que lui au jeu de la tromperie... Gaëtan connaissait donc déjà du monde sur place, et Dieu seul savait ce qu'il avait pu leur raconter sur lui, autant s'attendre à ce qu'outre l'aversion de son cousin pour son statut de chaperon, d'autres le regardent de travers. Ca n'était pas tout à fait comme s'il n'en avait jamais eu l'habitude, certes, mais tout de même. Assistant apothicaire ? Il n'eut pas le temps de poser davantage de question à ce sujet (pour le moins étrange) que l'adolescent proposait de l'aider pour ses bagages. Un léger sourire, un peu trop pâle pour sembler parfaitement amical, mais plus las qu'autre chose à vrai dire, étira les lèvres de l'adulte comme il lui répondait calmement.

- Laisse, j'ai l'habitude.

Par contre, il n'avait aucune idée de l'endroit où il voulait rentrer. La Belgique ne faisait certainement pas partie des options, et il ne connaissait rien à ces contrées... Quant à la faim, malgré l'escalade, le repas précédent l'entrevue avec la panthère l'avait suffisamment rassasié.

- Rentrer .? Je sais pas où tu veux aller, mais je crois en effet que j'aurais besoin d'un peu de repos... J'imagine que tu dois encore me servir de guide sur ce coup-là ?

*C'est rien de le dire* songea-t-il quant à son état de fatigue, aussi bien psychologique que physique : il avait beau être relativement charpenté, ça n'était pas tous les jours qu'il devait atteindre une destination inconnue par le biais de l'escalade. En silence, il attendit la réponse de son cousin, son regard posé sur lui, et sur un pendentif qu'il ne se souvenait pas lui avoir jamais vu. Il ignorait que le lieu dont parlait son cadet s'avérait être l'école, et qu'on y dispensait des cours de... magie. Sa mère y avait sans doute séjourné, mais de ça non plus, il n'avait guère entendu parler.