[Ladies' Night] Must Be Tuesday...

Jordan avait aperçu le papier de Meike sur le panneau d’affichage du gérant alors qu’elle-même collait une annonce demandant à quiconque aurait trouvé une veste en jean quelque part de la lui rapporter. Ce n’était pas la première fois qu’elle devait faire ce genre de requêtes, n’étant guère soigneuse en ce qui concernait ses habits, et plutôt tête en l’air. Ainsi, la veille, elle était sortie de sa chambre avec une veste, mais l’avait ôtée à un moment de la journée, quand le temps s’était réchauffé, et était rentrée sans. Ce n’est que le lendemain, en voulant la mettre qu’elle s’aperçut de la disparition de ladite veste et qu’elle descendit coller une de ses désormais familières affichettes. En ce mardi soir, la veste n’avait pas encore fait de réapparition, ce qui était bien fâcheux car, doublée comme elle l’était, elle était parfaite pour ce temps mi-figue mi-raisin d’octobre. À la place, elle enfila donc un gros sweat rouge par-dessus le t-shirt gris qu’elle portait avec un épais legging noir et ses Uggs. À son habitude, elle avait attaché ses épais cheveux blonds en une lourde tresse qui tombait par-dessus son épaule.

Elle arriva la première au pub et salua Meike chaleureusement. Comme toujours, la tenue élégante de la cuisinière lui fit penser à Rachel qui, elle aussi, accordait toujours un soin particulier à la façon dont elle s’habillait et ne se montrait jamais qu’impeccablement vêtue, coiffée et maquillée. Comme toujours également, penser à sa sœur lui fit penser au reste de sa famille et un pincement familier lui serra le cœur. Elle avait passé l’été au Canada, afin de pouvoir fêter ses 21 ans avec sa communauté. Jake et Rachel avaient même été là, pour une fois. Elle se plaisait beaucoup à Sywhaîd, mais les siens lui manquaient. Même si elle avait pris l’habitude de les quitter régulièrement depuis longtemps, cette année sans eux avait été plutôt difficile. Raison de plus pour s’immerger dans la vie communautaire de la Noble Lande.

Felicia soupesa d’une main les lourdes boucles de la mise en plis qu’elle venait de terminer, après une longue heure de travail. Lexie ne prenait pas assez soin de ses cheveux et, dès que Felicia prenait les commandes, une des premières choses à faire était de se rendre présentable. Les longues mèches rousses que Lexie laissaient habituellement flotter à leur guise, ou attachait en queue-de-cheval, étaient maintenant lisses et alignées en anglaises disciplinées comme des petits soldats. Elle avait déjà ôté le jean et le t-shirt que portait Lexie, cette habitude de se mettre en pantalon était des plus vulgaires, et avait longuement hésité, en sous-vêtements et bas couleur chair, devant la portion de la penderie qui lui était dévolue avant de sélectionner une robe rose pâle à col croisé et taille serrée, ornée de motifs de coquelicots. Ses cheveux parfaitement coiffés, elle attacha un rang de perles autour de son cou et enfila les boucles d’oreille qui complétaient la parue, offerte par son mari pour son quarantième anniversaire. Neil avait toujours eu si bon goût… Enfin, elle appliqua une couche de rouge à lèvres bien rouge sur ses lèvres, enfila ses petits escarpins assortis, et ajouta un gilet de laine verte de fabrication locale.

Elle entra dans le pub et se rendit compte qu’elle était une des premières arrivées, ce qui la contraria quelque peu. En tant qu’habituée des Ladies’ nights, elle avait ses têtes, et celle de la cuisinière n’en faisait pas partie. Certes, c’était elle qui procurait le ravitaillement, et c’était bien utile, mais ce n’était après tout que son travail. Il ne fallait tout de même pas oublier que la cuisinière de la Lande était mère célibataire de deux enfants nés de pères différents et avait pratiqué la profession de « top model » ainsi qu’on les appelait, ce qui n’était guère qu’une forme un peu plus raffinée de prostitution. Felicia la salua du bout des lèvres et accorda un sourire un peu plus chaleureux à Jordan, qui était polie et bien élevée, et avait l’âge de sa fille au moment où elle… Enfin bref. Elle commanda un sherry, sa boisson habituelle, et commença à le siroter en attendant que des personnes plus respectables les rejoignent.

A peine Meike eut-elle abaissé son verre que la porte du bar s’ouvrit à la volée sur Emily, un brin essoufflée et les cheveux parsemés de fines gouttelettes de pluie. Vêtue à son ordinaire d’une longue robe en laine couleur lin –made in Sywhaîd-, de jolies bottes en cuir et d’une veste épaisse au col doublé de laine blanche, Emily avait pensé faire un petit effort côté coiffure en s’essayant à une tresse africaine (ou quelque chose d’approchant), mais la bruine de l’après-midi – qu’elle avait passé à l’extérieur – et les frisottis en résultant, avaient eu raison de sa motivation. Elle avait donc simplement brossé sa crinière châtain aux reflets auburn, mis une pointe de mascara et une touche de blush avant de quitter la maison, laissant Arieh et Sean entre hommes pour la soirée.

La journée avait été rude pour l’irlandaise qui avait dû jongler entre la traite des brebis et des allers-retours tricotterie-teinturerie-tricotterie afin de renouveler le stock de laine colorée nécessaire à la réalisation de tartans et autres étoffes locales. Elle avait terminé sa journée par la traite des chèvres qui s’étaient montrées particulièrement ingrates avec leur hôtesse, lui adressant moult rebuffades et refusant parfois même de se laisser approcher. Emily avait alors dû ruser, voire, pour la plus récalcitrante d’entre elles, d’avoir recours à la magie. Foi d’O’Connor, ce n’était pas une biquette qui allait lui résister ! A cette activité quotidienne, on pouvait ajouter la présence de Sean, bien que partagée avec Arieh et –une partie de la journée du moins- avec Tobias (Emily bénissait Charlie d’avoir soufflé à son ami l’idée de venir s’enterrer ici !). Bref ! La jeune femme était rincée et avait bien besoin d’une pause.

En habituée des Ladie’s Night, Emily venait rarement les mains vides, aussi, c’est chargée d’un panier en osier visiblement plein de promesses qu’elle s’approcha du trio en lançant d’un ton naturel et enjoué : « Salut Meike, salut Jordan, bonsoir Felicia ! » (Emily avait eu du mal au distinguer tout le monde au début, mais la robe rose et les perles ne dupaient plus son instinct de femme). Elle se dirigea vers la table dressée pour l’occasion et y déposa son panier, dont le fond émit un son sourd.

- Meike je sais que tu fais des merveilles derrière ce bar. Surprend-moi, j’en ai besoin ! Commanda-t-elle gentiment.

Malgré la légère différence d’âge, Emily appréciait beaucoup Meike et passait pas mal de temps avec la jolie quadra. Peut-être pour recueillir son expérience de maman, ou parce que les deux femmes occupaient des postes importants pour la communauté, ou tout simplement parce que Meike était devenue une amie pour elle, sans qu’elle puisse vraiment dire pourquoi. Connaissant Arieh, il ajouterait sans doute que c’est parce que Meike représentait le monde extérieur auquel elle n’avait plus beaucoup accès : celui des potins, de la mode et des VIP. Ce à quoi Emily répondait volontiers par une langue bien tirée.

Pendant que la cuisinière s’efforçait de remplir sa part du contrat, Emily sortit de son sac plusieurs pots qu’elle déposa sur la table, à côté des petits canapés de Meike, au milieu des convives –encore peu nombreuses.

- Meike, comme tu m’as dit que tu faisais des toast ce matin, j’ai apporté du miel tout droit sorti de chez Bee. Miel de pissenlit apparemment. J’ai aussi apporté un pichet de lait de chèvre fraichement « pressé », dit-elle en riant et en déposant une petite bouteille de fer blanc au milieu de la table. Les bourriques ! Elles m’ont donné du fil à retordre ce soir. J’espère que vous apprécierez la dévotion dont j’ai fait preuve pour vous apporter ce breuvage Mesdames, ajouta-t-elle en ponctuant sa remarque d’une petite grimace ironique.

Là-dessus, Emily sortit une veste en jean du panier et la secoua pour la déplier.

- Arieh m’a passé ça tout à l’heure. Si j’ai bien compris, Zeke l’aurait trouvée à la volière hier. Jordan ce ne serait pas à toi par hasard ? Demanda-telle en se tournant vers la jeune femme.

- Et, comme promis la dernière fois, j’ai tenté un carrot cake, vous m’en direz des nouvelles.

Joignant le geste à la parole, elle sortit du fond du panier, un lourd plat de verre couvert d’un torchon blanc contentant ledit gâteau, ainsi qu’un pot de crème à part, pour les plus respectueuses de leur ligne –et aussi parce qu’elle craignait avoir mis trop de sucre dans la crème et ne tenait pas à ce que ce soit trop écœurant en nappant l’ensemble du gâteau.

Finalement, c’est sans grâce aucune et en totale contradiction avec son apparence soignée –faute d’être élégante- qu’Emily se laissa choir sur la chaise voisine de Felicia en lâchant un soupir d’aise sorti du cœur.

- Fort bonne, je vous remercie, avait répondu Felicia du bout des lèvres, tout en acceptant le verre de sherry parfaitement dosé que lui tendait la cuisinière. Il fallait tout de même avouer qu’une vie de perdition comme celle qu’avait menée Meike jusque là avait ses avantages : elle s’y connaissait en cocktails. Quoique cela prouve une fois encore à quel point elle était loin d’être une dame de qualité, c’était assez appréciable quand on avait une petite soif, comme c’était le cas ce soir-là.

De son côté, Jordan avait ôté son sweat dans la chaleur du pub et réclamé un verre de vin pétillant à Meike. Après en avoir dégusté une première gorgée, elle lui raconta que Peggy Sue avait réussi, elle ne savait trop comment, à débusquer le sac de carottes que Jordan planquait dans un coin de l’écurie, à l’éventrer et à boulotter tout son contenu. Par chance, il n’en restait pas tant que ça et la jument éviterait sans doute l’indigestion, mais on n’était pas passé loin et la palefrenière avait passé son après-midi à vérifier la température de l’animal et autres signes de malaise.

- Bref, conclut-elle en riant, il va falloir revoir les stocks à la hausse pour la prochaine saison !

Emily entra sur ces entrefaites tandis que Felicia se resservait discrètement du sherry. Emily était une jeune femme charmante, qui s’adonnait de façon fort décente au tricot, une activité parfaitement adaptée à son sexe, mais qui avait tout de même eu un enfant hors mariage et semblait fort bien s’accommoder de son concubinage. Malgré le charme pittoresque de Sywhaîd, il était virtuellement impossible d’y trouver une personne entièrement convenable. Rien que sur les trois personnes présentes, chacune avait sa faille, entre la divorcée mannequin sur laquelle on ne reviendrait pas, la pécheresse qui vivait avec le père de son enfant sans le moindre sacrement et la petite jeunette qui, disait-on, savait se transformer en animal, ce qui n’était pas néfaste en soi, mais ne semblait tout de même pas très catholique.

- Un gâteau et ma veste ? s’exclama Jordan en récupérant cette dernière des mains d’Emily. Tu tombes du ciel, Em’ !

Elle se souvenait maintenant, elle avait ôté sa veste en jean alors qu’elle écrivait une de ses longues lettres à sa famille. Ça lui prenait toujours un temps fou parce qu’elle essayait de trouver des anecdotes adaptées selon le destinataire et, mine de rien, c’était un sacré boulot. Jordan s’approcha du comptoir et découpa le carrot cake en tranche afin que chacune puisse se servir à sa guise. Elle-même prit une part et alla s’assoir près d’Emily, son verre de vin toujours à la main. De l’autre côté, Felicia tapota le genou de l’Irlandaise et lui demanda de la resservir, s’il vous plaît, merci.

- Alors, quelqu’un a repéré de la chair fraîche récemment ? demanda Jordan après avoir pris sa première bouchée de gâteau.

Parler de garçons était évidemment une des activités phares de la Ladies’night. Au début, les différences d’âge avaient été à l’origine de moments de gêne, mais, le vin italien aidant, les différentes habituées avaient pris l’habitude de discuter sans tabou des hommes de leur vie, passés, présents ou futurs. Même Felicia s’y mettait, quand le niveau de sherry avait suffisamment baissé. Un des sujets récurrents étaient évidemment l’arrivée éventuelle de nouvelles cibles sur la Lande étant donné qu’à part Emily, elles étaient toutes célibataires.

[Aurel, je saute le tour d’Em, tu me dis si ça t’embête]

Jordan fit la moue quand Meike suggéra Zeke dans la catégorie « chair fraîche intéressante ». Certes, il était nouveau et très intéressant, ainsi que ses quelques discussions avec lui lors de ses passages à la volière le lui avaient montré, mais ce n’était absolument pas son genre. Le côté « tout en muscles et tatouages » justement, ne l’attirait pas tant que ça. Pas plus que le style roots/cheveux longs qu’il semblait affectionner. Sans compter que, comme le soulignait Meike, mais dans l’autre sens, il n’avait pas du tout le bon âge, il devait avoir au moins dix ans de plus qu’elle ! Quant à son nom… Eh bien, n’en déplaise à Meike, il ne lui disait absolument rien. Ainsi, après avoir salué d’un rire la remarque de la cuisinière, elle eut néanmoins une petite moue qui signifiait assez clairement « Merci, mais non, merci. »

Quand le nom de Mathys fut évoqué, c’est Felicia qui réagit la première. Son verre de sherry était inexplicablement à nouveau vide et quelqu’un eut la bonté de le remplir sans qu’elle demande quoi que ce soit. Décidément, toutes pécheresses invétérées qu’elles fussent, ces jeunes femmes savaient recevoir.

- Famille de dégénérés, remarqua-t-elle à mi-voix.

Enfin, étant donné que sa remarque tomba dans un moment de mastication commune de carrot cake et donc de silence, et que Felicia n’avait jamais vraiment compris le concept du murmure qu’on n’entendait pas à trois kilomètres à la ronde, tout le monde entendit et, devenue le centre des regards, elle se crut obligée d’élaborer.

- Enfin, je ne vous apprends rien, cette Mary-Elizabeth est une dévergondée de la pire espèce ! Deux enfants hors mariage !

Elle glissa un regard qu’elle pensait probablement discret vers Emily. Un, c’était déjà grave, mais alors deux !

- Et un troisième en route, si vous voulez mon avis, ajouta-t-elle d’un air de connaisseuse qui n’était pas feint. C’était le genre de choses qu’elle remarquait. Après tout, sa propre fille… Enfin, bref. Et cette façon de s’afficher en public comme si de rien était… Quel manque de pudeur !

Jordan, comme les autres, écoutait cette litanie, une expression mi-amusée mi-horrifiée plaquée sur le visage. Les filles de la Ladies’ night ne rechignaient jamais à resservir Felicia en sherry, car elles n’étaient jamais déçues du résultat.

- Et ce blond pute ! Pardon, platine. Ça fait tout de même racoleuse bon marché, il faut l’avouer, ajouta-t-elle en portant une main distraite à sa mise en plis toujours impeccable. Et puis il y a cet autiste qu’elle exhibe partout comme si c’était une personne normale, c’est tout à fait indécent.

Jordan échangea un regard mortifié avec sa voisine en étouffant un rire. Cette manière qu’avait Felicia de se montrer si naturellement intolérante, insultante et, à l’occasion, raciste, était toujours aussi fascinante et dérangeante à la fois. Surtout quand on savait Lexie si différente. Jordan en avait un jour parlé à la jeune femme qui lui avait un peu expliqué les origines de Felicia, son éducation rigide et sa vie étriquée dans un milieu social bourgeois archaïque. Ça expliquait bien des choses, mais ça n’empêchait pas la jeune Canadienne de se sentir toujours tiraillée entre l’amusement et l’écœurement.

- Quant à ce Mathys, poursuivait Felicia, indifférente à l’effet produit sur son auditoire, un bon à rien sans personnalité. Quel genre d’homme digne de ce nom suivrait ainsi une femme qui l’a traîné dans la boue en ayant l’enfant d’un autre ? Et emménagerait avec une ancienne conquête, elle-même mère célibataire ? Et puis, franchement, dessinateur ? Est-ce là une occupation convenable pour un père de famille ? Ce n’est pas bien viril, ni bien approprié. C’est sans doute pour ça qu’il est revenu à Sywhaîd la queue entre les jambes, si vous me passez l’expression. Son incapacité à subvenir aux besoins de sa famille tordue hors de la lande est moins manifeste ici.

Dans le silence qui suivit cette tirade, le raclement de gorge de Jordan et la dernière gorgée de sherry sirotée par Felicia firent office de coups de tonnerre. Sans se démonter, celle-ci reprit :

- Le nouvel instituteur a l’air d’un homme charmant par contre, non ?

Emily accepta de bonne grâce le cocktail que lui tendit Meike et la remercia d’un sourire de connivence. Elle y trempa d’abord les lèvres avant d’en avaler une large gorgée et pousser un soupire d’aise. Que c’était bon ! Elle bénissait chaque brèche pour les victuailles qu’on en rapportait et le lien qu’elles entretenaient avec le monde extérieur. Parfois elle se demandait combien de temps elle tiendrait ici, à mener la vie qu’elle menait : une vie de sexagénaire (au mieux). Mais Sean, Arieh et les autres lui rappelaient vite qu’elle avait des choses à faire et elle finissait toujours par refouler la question dans un coin de son esprit.

Tandis que Jordan récupérait son bien, Emily se saisit de la bouteille de sherry et rempli le verre de Felicia sans parvenir à dissimuler complètement un petit sourire en coin. La soirée commençait vraiment au deuxième verre de Sherry car d’autres suivaient. Par ailleurs, l’irlandaise adorait les potins et était toujours ravie d’être au courant des derniers scoops, locaux ou pas. Elle n’était pas du genre à rapporter les secrets des uns ou des autres, mais elle aimait être informée, voilà tout. Quoi qu’en pense Arieh, elle était tout à fait capable de garder un secret ! Ils se chamaillaient gentiment à ce sujet régulièrement, généralement le mardi soir, avant qu’elle ne quitte la maison pour rejoindre « les copines ».

Quand « la chair fraîche » arriva sur le tapis, Emily laissa les autres ouvrir le débat et attaqua une part de carrot cake sur laquelle elle étala une lourde cuillère de crème, réalisant qu’elle n’avait pas mangé depuis ce midi et qu’elle avait une faim de loup. La bouche pleine, elle hocha la tête aux propos de Meike.

- Je confirme ! Renchérit-elle en finissant d’avaler sa bouchée. C’est un bon parti, tu devrais foncer avant qu’elle ne te le pique, ajouta-t-elle en ponctuant sa remarque d’un clin d’œil à l’adresse des deux femmes.

Concernant Mathys, Emily n’appelait pas ça « chair fraîche » mais les arrivées étant plutôt rares ces derniers temps, il pouvait sans doute entrer dans la catégorie pour une fois. En revanche pour le sac de nœuds, elle n’était pas assez joueuse pour ça. A son tour elle secoua la tête et allait argumenter avant d’être devancée par Felicia.
Elle sourit à sa remarque et nota que l’aristo disait tout haut ce qu’elle-même pensait tout bas mais n’aurait jamais formulé de la sorte en société : Felicia, toute en paradoxes.

Que Felicia n’approuve pas les comportements extraconjugaux « déviants » n’était pas une nouveauté, aussi Emily ne tint-elle pas rigueur à son aînée pour le regard en biais qui en disait long. Un enfant hors mariage, voilà qui avait de quoi déranger les vieilles générations mais Emily n’en avait cure. Évidemment elle se demandait parfois à quoi pouvait bien ressembler une vie d’épouse, et surtout, une vie d’épouse à Sywhaîd. Mais à part une bague au doigt et une cérémonie magique, elle ne voyait pas ce que le mariage pouvait lui apporter de plus. Et les toges orange n’intégraient pas sa vision d’un mariage glamour. Arieh et elle n’en avaient jamais discuté et elle ne tenait pas à ouvrir le débat ; la dernière fois elle avait perdu au jeu du bébé. On ne l’y prendrait plus.

Parallèlement à ses pensées de mariage, Emily réalisa que Felicia avait désormais suffisamment de sherry dans le sang pour envisager de parler à cœur ouvert. Et elle ne fut pas déçue. La tirade de sa voisine était sans doute l’une des plus salées à laquelle il lui eut été donné d’assister. Elle écouta sans broncher ses propos, jetant des coups d’œil complices à Meike et Jordan tout en se mordillant les lèvres pour ne pas rire. Elle ouvrit des yeux ronds lorsque la ménagère se mit à jurer et évoqua Fred et moult horreurs, pensant très certainement chacun de ses mots.
Pour autant, malgré toute l’insolence des propos, Emily ne parvenait pas à en tenir rigueur à Felicia. Cela faisait partie de son caractère et pour Emily, cela relevait plus d’un caractère de personnage que de propos dont il fallait réellement s’inquiéter. Après tout, demain Felicia serait Lexie, ou Sophie-Anne ou Butch et sa réaction serait toute autre (et le sherry ne serait plus là non plus). Cette facette-là aboyait beaucoup mais ne mordait sans doute pas bien fort.

Finalement, quand l’anglaise conclut son monologue et changea de sujet, Emily ne put se retenir d’éclater d’un rire franc.

- Felicia, votre franc-parler m’étonnera toujours ! Surtout ne changez pas ! Lança-t-elle gaiment en lui servant un autre verre ainsi qu’une part de gâteau, histoire d’éponger un peu en prévention d’un éventuel coma éthylique.

- Quant à Tobias, c’est effectivement quelqu’un de très bien. Encore un parti intéressant. Moins de background qu’un Diulcinea mais plus de folie aussi. Je suis sûre qu’il s’entendra bien avec CJ. Vous saviez que c’était l’ex de Charlie ? Très mignon en tous cas ! Et apparemment compétent. Même si j'ai gardé le meilleur pour moi, cet exemplaire-là n'a pas l'air mal du tout mesdames. A voir s'il est bon à marier...

Lors des Ladies Night, Emily ne se privait de donner son avis sur tel ou tel membre de la gent masculine. Après tout, ce n’était pas parce qu’elle était au régime qu’elle ne pouvait regarder le menu, si ?