Look at me now [Samhain]

Un grand chapiteau avait été installé au beau milieu de la Lande.

Des petits feux follets magiques éclairaient et réchauffaient l'atmosphère.

Des tables chargées de mets et de boissons étaient alignées autour d'un espace dégagé pouvant servir de piste de danse. D'ailleurs, de la musique résonnait aux quatre coins du chapiteau, assez fort pour donner envie de se remuer, mais pas assez pour décourager les conversations. Des fauteuils étaient à disposition des plus fatigués.

La soirée avait été annoncée par le Rad et les déguisements n'étaient qu'optionnels. Cependant, un petit sort avait été placé à l'entrée de la tente et chaque Sywhaîdien qui la passerait verrait un aspect de son physique changer : une barbe sur un visage imberbe, une couleur de cheveux qui passe du brun au blond, quelques kilos en plus... Tout était possible, pour des résultats bien sympathiques ! Un miroir en pied près de l'entrée permettait d'admirer les résultats... ou de s'en désoler.

[Voici donc le topic commun de l'automne, dont l'action se déroule le 31 octobre au soir, mais que vous pouvez jouer tout au long de la saison. Ouvrez vos messages avec une photo de la personne qui vous sert d'avatar où elle est différente de la façon dont vous présentez votre personnage. C'est le moment de ne plus être frustré de ne pas pouvoir utiliser cette photo-ci parce que votre perso est brun et que son acteur est blond...]

- Maman ! Mon bandeau me retombe sur le nez !

Zofia se pencha pour se mettre au niveau du petit pirate qui venait de se planter devant elle, impatient, alors qu'ils atteignaient l'entrée du chapiteau, et refit les ajustements nécessaires... pour ce qui lui sembla être la dixième fois depuis qu'ils avaient quitté la maison. Elle aurait pu mettre fin au problème en utilisant la magie, mais avec Elio et la maladie touchant ses flux, ce n'était jamais simple. Les flux particuliers de la Noble Lande permettaient de renforcer ceux, déficients, du petit garçon, mais étrangement, faire de la magie à proximité pouvait parfois avoir des effets négatifs, déclenchant des maux de crânes, des poussées de fièvres... Elle décida donc de s'armer de patience, sûre que dès que son fils aurait trouvé des camarades de jeu, le cache-oeil de son costume de pirate se retrouverait de toute façon abandonné sur une chaise pour le reste de la soirée.

La rouquine refit, également pour la dixième fois, la liste des potions, pilules et autres médicaments que son fils avait avalé avant leur départ. Elle n'aimait pas lui donner un traitement aussi lourd, mais il aurait été injuste de le priver de fête. Grâce à ces mesures, et même dans un environnement aussi chargé de magie qu'une soirée de Samhain à Sywhaid, ses flux devraient se tenir tranquilles le temps d'une soirée.

Elle attrapa son pirate par la main et ils franchirent ensemble l'entrée du chapiteau.  La jeune femme eut un bref moment de panique dès qu'elle s'aperçut de la présence d'un sort de transformation. Elle se relâcha cependant très vite en voyant que le sort était inoffensif, et se rapprocha du miroir pour constater "les dégâts" sur sa propre personne, suivie par un Elio hilare qui s'admirait déjà dans la glace, ravi de ses moustaches et de son bouc, qui à son avis, faisaient très "pirate". Il s'interrompit quelques secondes pour jeter un coup d’œil à sa mère, et lui déclarer "c'est rigolo, tes cheveux!", avant de lui demander l'autorisation d'aller retrouver des copains qui lui faisaient signe dans un coin du chapiteau.

En effet, c'était... rigolo. La rouquine, qui adorait sa couleur de cheveux et n'en aurait changé pour rien au monde, se retrouvait brune ! Kayisa, perchée sur son épaule, gloussait ouvertement devant l'air déconfit de sa moitié, qui se reprit aussitôt.  Bon, pourquoi pas, ce n'était pas si mal... mais cette frange, vraiment, c'était obligatoire? Haussant les épaules et regrettant les vingt minutes passées à se faire un chignon qui n'existait plus, elle rajusta sa courte robe rouge et son boléro noir, avant de se diriger, perchée sur de petits talons, vers le buffet. Elle savait son mini-flibustier très occupé, et entreprit de le surveiller du coin de l'oeil, un verre à la main, tout en observant les nouveaux arrivants et leurs réactions en découvrant les modifications impromptues faites à leur physique...

- Je ne sais pas qui a conçu le sort, mais il a l’air d’avoir un faible pour les brunes ! lança une voix rieuse à la gauche de Zofia.

Un verre de punch à la main, Jordan souriait à la jeune maman sous ses mèches… brunes. Elle était arrivée parmi les premiers, vêtue d’une petite robe grise sans manches, resserrée à la taille par une ceinture noire, assorties de collants et de petites bottines noires sans talons. Elle qui ne se maquillait quasiment jamais s’était même fendue d’un trait d’eye-liner pour l’occasion. L’ensemble faisait d’ailleurs admirablement ressortir ses yeux bleus. N’ayant pas ressenti de changement quand le sort l’avait affectée, c’est en se retrouvant face au miroir qu’elle s’était rendu compte du changement, qui l’avait fait rire. Leur blondeur était la marque de fabrique des filles Berenson et se retrouver face à une brune dans le miroir avait quelque chose de très perturbant. Elle n’aurait probablement jamais eu l’idée de changer de couleur de cheveux toute seule et l’idée de changer de tête pour une soirée était assez sympathique. À condition, bien sûr, que le sort soit temporaire, ce dont elle ne doutait pas.

Elle s’était dirigée vers le bar et s’était servi un verre avant de s’adosser à la table et d’observer les réactions des nouveaux arrivants qui, pour la plupart, semblaient agréablement surpris par le petit tour mis en place par le Rad pour la soirée. Son changement préféré avait été celui d’Elio cependant, transformé en pirate plus vrai que nature par une paire de favoris et une barbe fournie qui étaient très incongrues sur un si petit garçon, mais en parfaite adéquation avec son costume. Elle avait alors remarqué que les cheveux de Zofia avaient subi le même sort que les siens.

Jordan connaissait assez bien Zofia, pour avoir partagé plusieurs corvées et cours avec elle, mais n’était pas son amie pour autant. Il faut dire aussi que la rouquine était plus âgée qu’elle et avait un fils malade qui lui prenait beaucoup de temps. Cependant, Jordan éprouvait beaucoup d’admiration pour son aînée et n’était pas mécontente d’avoir l’occasion de sociabiliser un peu avec elle.

CJ, est-il besoin de le préciser, adorait les fêtes et toutes les occasions étaient bonnes pour s’amuser. Samhalloween était un moment particulièrement agréable dans la vie sywhaîdienne, peut-être même plus que Noël. Non, attendez, qu’est-ce qu’il racontait ? Rien n’était plus agréable que Noël. Mais l’intérêt du 31 octobre, c’était quand même les déguisements, même si le Rad avait précisé cette année qu’il n’était pas prévu de soirée costumée. CJ avait bien entendu ignoré cette annonce et avait dégoté un costume de médecin : ensemble hospitalier de couleur verte, récupéré par sa mère dans une des multiples institutions où elle consultait. Après avoir souhaité une bonne nuit à Rodolphe, son chien empaillé, et à Steven, son chien pas empaillé, qui n’étaient invités ni l’un ni l’autre, CJ se rendit dans la lande à grandes enjambées enthousiastes.

Il passa l’entrée du chapiteau et sentit une démangeaison très étrange sur le crâne, ce qui le poussa à faire un pas en arrière et à franchir une deuxième fois le sas, se prenant ainsi, à son insu, une double dose de sort. Il tomba nez à nez avec son reflet dans le miroir en pied, resta bouche bée et immobile quelques secondes avant d’éclater d’un rire tonitruant. C’était… fantastique ! D’une, il était chauve, et de deux… il était noir !

Il se retourna, à la recherche d’une tête connue avec qui partager son hilarité. Il aperçut sa pote Jordan en brune et, près d’elle, une autre tête connue qu’il n’avait pas vue depuis longtemps. Était-ce le temps passé en dehors de la Lande ou le sort de déguisement qui l’avait rendue blonde et l’avait ainsi affublée d’un nœud gigantesque sur le dessus de son crâne ?

- Tommie ! hurla-t-il donc avant de se diriger vers la jeune femme d’un pas vif.

Arrivé à sa hauteur, il lui laissa le temps d’admirer son nouveau look et d’admirer le sien avant de se servir une bière et de demander :

- Tu es revenue depuis longtemps ? C’est Orpheo qui va être content !

Cependant, il n’était pas sûr qu’Orpheo se montre ce soir, la météo prévoyait de fortes pluies et, quoique son aquaphobie se soit calmée, il faisait encore quelques rechutes.

N'écoutant que son courage, Il était bel et bien venu ; il avait certes pris la précaution de se chausser de bottes et de se vêtir d'un beau ciré bien imperméable, tous deux d'une agréable couleur jaune, mais le maestro était bien là malgré le ciel indéniablement menaçant et l'humidité de l'air. Il se trimballait par ailleurs une longue épuisette supposée compléter un pseudo-costume de pêcheur au cas où d'aucuns se seraient permis de désobligeantes remarques sur son accoutrement.

Il gambada aussi vite que le lui permettaient ses grandes jambes jusqu'au chapiteau de la fête, très malencontreusement installé au centre de la Lande ; il avait été obligé d'adopter une course furtive, filant, missile prudent, de l'abri d'un arbre à celui d'un buisson égaré, en levant haut les genoux pour éviter tout risque de glissade sur les herbes hautes et sournoises. La tâche était encore compliquée par l'énorme ballotin de delicatessen confectionnées dans l'après-midi par le maestro ès pianos de toutes sortes, y compris ceux des cuisines, comme bien l'on sait. Meike ne s'était même pas fatiguée à protester ni à lui assurer qu'il y aurait déjà bien assez de nourriture sur place sans qu'il soit nécessaire qu'il prépare 50 verrines mousse de céleri - truite flambée au whisky : elle avait trop vu l'animal s'exciter dans ses cuisines pour encore essayer de raisonner ce dernier.

Mes trisaïeux, quelle aventure ! Mais Orpheo ne pouvait tout de même pas risquer de louper la fête la plus importante de l'année. Avec un soupir de soulagement, il atteignit l'abri salutaire du chapiteau à peu près au moment où son petit-fillot prononçait son nom - émouvant exemple de complicité familiale, indubitablement. Ou alors, c'était juste une coïncidence de plus dans une Lande qui n'en manquait pas. Hypothèse d'autant plus probable qu'en vérité, le squelette, si égocentrique fût-il, n'entendit pas qu'on parlait de lui, d'une part en raison du brouhaha général des lieux, d'autre part parce qu'alors qu'il ouvrait les premiers boutons de son ciré, il sentit un gigantesque frisson le parcourir depuis le sommet de son crâne jusqu'à ses dernières phalanges de pied. Avant qu'il ait eu le temps de s'offusquer ou même de simplement demander à voix haute ce qu'il venait de lui arriver, le miroir en pied face à lui lui donnait la réponse. Il demeura face à lui, hébété, pendant 5 bonnes secondes, avant de s'exclamer d'une voix suraiguë :

"Je... Je suis un vrai petit garçon !"

Et de fait, le sortilège n'y était pas allé de main morte avec notre cadavre préféré : il lui avait donné une apparence presque authentiquement humaine ; ses os étaient désormais presque intégralement recouverts d'une fine couche d'épiderme livide qu'Orpheo se mit rapidement à tester l'élasticité, incrédule, avant d'éclater de rire. Il avait oublié la sensation d'avoir des poils sur le caillou et, par Sainte-Barbe, ce que ça chatouillait le crâne d'avoir des cheveux !

[Désolée, j’avais réservé Orpheo, mais oublié de le préciser^^]

Tobias se retourna en entendant une réplique digne de Pinochhio et se trouva face à un homme dont le costume était un des plus beaux qu’il ait jamais vus, et il participait pourtant à Comic-Con tous les ans depuis longtemps. L’homme qui s’admirait dans le miroir près de lui semblait tout droit sorti de l’imagination de Tim Burton. Tobias en resta sans voix. Le sort de modification d’apparence qui agrémentait l’entrée du chapiteau avait même eu l’obligeance de changer les cheveux du « vrai petit garçon » et ce blond peroxydé était parfaitement assorti au reste du costume. C’était magnifique, vraiment. Il en oubliait même que, quelques secondes auparavant, il était occupé à observer son propre changement et à s’émerveillé d’avoir été l’objet d’un vrai sort !

C’était sa première rencontre officielle avec la magie depuis son arrivée sur Sywhaîd le matin même. Il avait débarqué dans les marais, un endroit sombre, humide et inhospitalier, toujours en robe de bure, sous laquelle il se découvrit torse nu. La Brume lui avait fauché son t-shirt, ce qui l’avait mis de très mauvaise humeur, car c’était une édition limitée et qu’il ne pourrait donc jamais le retrouver, à moins d’heures de recherche sur ebay, ce qui était exclu, maintenant. Il était donc d’assez mauvaise humeur quand un groupe de trois personnes, apparemment « en corvée e tourbe » le découvrit. Son humeur remonta drastiquement face à ces Sywhaîdiens qui l’accueillirent avec chaleur et enthousiasme. Une jeune femme se proposa d’ailleurs de l’accompagner à la maison du gérant, qui l’aiderait à s’installer.

Sa rencontre avec Arieh l’avait également aidé à retrouver le sourire. Déjà, le gérant l’avait informé que tous les colis (contenant majoritairement des livres et les affaires de Nym) qu’il avait envoyés en avance par hibou postal (hibou postal ! il n’y avait pas cru quand Charlie l’avait annoncé) étaient déjà arrivés et stockés. Tobias partagea un petit-déjeuner avec le gérant et sa compagne, avant que celle-ci ne les quitte pour vaquer à ses occupations (elle avait apparemment un poste très important dans la communauté) et que la question du logement ne se pose enfin. Ayant découvert que Tobias était fort en maths, calé en littérature, diplômé d’histoire et patient avec les enfants (la présence de Sean avait permis de régler cet aspect de la question), Arieh l’invita à accepter le poste d’instituteur à l’essai. Ayant été bien briefé par Charlie sur l’importance de contribuer à la communauté et le fonctionnement de l’école sywhaîdienne, Tobias ne fut que trop heureux d’accepter et, avec l’aide d’Arieh, emménagea au premier étage de la maison qui servait d’école, non loin de celle du gérant. Celui-ci le quitta après lui avoir indiqué la direction de la ferme, où se trouvaient les cuisines, et celle du pub, toujours utile, et après lui avoir annoncé qu’une soirée de Samhain, l’équivalent d’Halloween, était organisée ce soir et qu’il pourrait y rencontrer pas mal de gens dans un cadre détendu.

Comme il se doit, Tobias et Nym inaugurèrent leur nouvelle maison par une sieste. Il se promit que, dès le lendemain, il commencerait à la laisser sortir, sous sa supervision, jusqu’à ce qu’elle connaisse assez le coin pour se promener à sa guise. Pour l’heure, il la laissa explorer sa nouvelle maison avant d’aller manger un morceau. Dans la cuisine, il retrouva Jean Grey, qui s’appelait en fait Meike et était aussi belle que pendant sa Quête, qui l’aida à approvisionner la kitchenette de l’école et lui conseilla à son tour d’aller à la fête du soir même.

Ce qu’il fit donc. Vêtu d’une chemise à carreaux dans les tons violets, d’une cravate bleu marine et d’un jean noir, d’excellente humeur, notamment grâce à la découverte des cadeaux compensatoires de la Brume, il entra sous le chapiteau, près à sociabiliser avec ses nouveaux voisins. Il marqua un temps d’arrêt à l’entrée, tâchant de déterminer quel groupe il pourrait approcher le plus facilement, mais tout le monde semblait déjà en grande conversation. Sentant que ça le démangeait, il porta la main à son menton et tomba sur… de la fourrure ? Il passa fébrilement les mains sur son visage et capta son reflet du coin de l’œil. Une barbe ? Il avait une barbe ?


C’était… extraordinaire ! C’était de la magie ! Il n’était là que depuis le matin et il était déjà touché par la magie ! Incroyable ! Arieh avait bien précisé qu’on se déguisait traditionnellement à Samhain, mais qu’il pouvait y aller comme il était, que tout était prévu cette année. Tobias s’était attendu à une pile de costumes ou de masques mis à disposition, mais la réalité allait bien au-delà de ses rêves les plus fous !

Il en était là de ses réflexions quand une exclamation le fit se retourner et qu’il se retrouva face à l’homme déguisé en squelette. Plutôt que de s’incruster à un des groupes déjà formés, Tobias trouva plus facile de s’adresser à ce nouveau-venu, d’autant que l’ouverture était toute trouvée :

- Ce costume est magnifique !

CJ avait éclaté de rire à la remarque de Tommie sur son costume. Elle n’était en fait pas tombée loin de la vérité. Si elle n’avait pas enchaîné, elle aurait eu droit à un long monologue expliquant que, effectivement, CJ avait longtemps hésité sur sa voix professionnelle, entre la médecine et la psychanalyse. Il s’était finalement décidé après s’être imaginé confondant le cœur et le poumon lors d’une opération, partageant un sandwich au beurre de cacahouète avec un patient allergique, diagnostiquant un Lupus alors que ce n’est jamais le Lupus (!) et ainsi de suite. Alors qu’en tant que psy, le pire qu’il pouvait faire était de pousser un dépressif au suicide et les suicidés ne faisaient que rarement des procès pour erreur médicale. Rarement, mais pas jamais, pour peu qu’ils reviennent en fantôme ou en zombie… Bref.

Tommie enchaîna en précisant qu’elle venait de rentrer et, effectivement, ça tombait bien, rien n’était plus agréable que Samhain, à part Noël. Mais, attendez, minute, elle lisait dans les pensées ou quoi ? Cette remarque sur Noël, c’était la sienne. Incroyable ! D’habitude, il n’y avait qu’avec Orpheo qu’il partageait une telle complicité psychique. Il tenta d’envoyer un message par télépathie à Tommie : Refais un compliment sur mon costume. Tout à coup, la jeune femme lui attrapa le bras ce qui était agréable, mais prouvait peut-être que son afflux d’ondes télépathiques avait été trop puissant et lui avait fait perdre l’équilibre. Ah non. Par contre, fantastique, ça avait marché. Non seulement il avait fait apparaître Orpheo par la seule force de son esprit, mais Tommie refaisait un compliment sur son costume. Bon, elle complimentait sa transformation et le faisait de façon détournée, mais ça marchait quand même. Ils étaient connectés.

Regardant dans la direction indiquée par la jeune femme, CJ posa les yeux sur un Orpheo… quasi humain. CJ se prit à craindre que le sort ne soit pas temporaire. Si Orpheo gardait de la chair sur ses os, le numéro de claquettes qui clôturait le spectacle de Noël des Fabulous two (especially me), pour lequel Orpheo avait d’ailleurs composé une toute nouvelle symphonie pour flûte de pan en do mineur, tombait à l’eau ! Quelle perte pour l’humanité !

C’est vrai que c’est impressionnant ! convint-il cependant, télépathiquement, avant de boire une rasade de sa bière.

Voyant Orpheo accaparé par un mec barbu, il se tourna à nouveau vers la jeune femme temporairement blonde qui n’avait pas lâché son bras, ce qui était toujours agréable d’ailleurs et demanda, repassant à la communication verbale, car cela utilisait moins d’énergie :

- Alors, quoi de neuf ? Où tu étais partie ?

La réponse de Jordan, suivie de l'intervention de Tommie, rapidement happée par une autre conversation, fit sourire Zofia, qui tourna la tête pour observer l'ancienne blondinette. Elle prit un air faussement critique, plissant les yeux et faisant la moue. C'était d'autant plus drôle que même avec des talons, elle était bien plus petite que sa compagne de coloration. Elle finit par lui adresser un nouveau sourire :

"Ca te va bien!"

C'était vrai, même si le changement était radical. La demoiselle allait ajouter quelque chose, lorsqu'elle fut distraite par l'apparition spectaculaire d'Orphéo, qui venait de détrôner CJ au concours du déguisement le plus impressionnant. Celui qui avait conçu le sortilège, amateur de brunes ou non, était un génie.

L'arrivée de Marybeth, par association d'idées, rappela à Zofia que Mathys n'était toujours pas dans le coin, alors qu'il lui avait promis de les rejoindre rapidement. Ils ne devraient pas tarder, normalement, la petite voudrait certainement voir la fête, et comme son père ne la laisserait pas veiller trop tard, Zofia pourrait en profiter pour s'éclipser avec les deux marmots. Elle s'arrangeait pour ne jamais rentrer trop tard les soirs de fête, prévoyant que le lendemain matin, certains sywhaidiens seraient réveillés bien plus tôt que prévu par des maux de têtes. Il y avait eu pas mal de négociations et de grincements de dents par rapport au fait qu'elle puisse garder, pour de courtes périodes, la fille de Mathys et Mary, et les soirs comme ceux-là, la situation n'en finissait pas d'être compliquée.

Kayisa gigota, un peu mal à l'aise, pour rappeler sa moitié à l'ordre. Réalisant qu'elle était restée silencieuse pendant plusieurs minutes, ce qui n'était pas très poli, la jeune femme se concentra sur la conversation en cours. Elle croisait assez souvent Jordan lors de corvées ou ou dans les écuries, mais à part des cheveux exceptionnellement bruns, ne savait pas trop ce dont elle pouvait discuter avec la jolie Canadienne. Par la force des choses, Zofia avait un peu l'impression que ses conversations, depuis quelques années, ne tournaient qu'autour de deux thèmes : Elio, et ses potions. Elle aurait bien voulu se renouveler, mais manquait un peu d'habitude :

"Comment ça va à l'écurie? Le tonique que je t'ai laissé pour Millie a fonctionné?"

Millie était une vénérable jument de trait qui, par temps humide, souffrait de douleur aux articulations, comme Mamie Cathy. Zofia s'était donc improvisée vétérinaire équin et avait utilisé les mêmes plantes que pour son remède contre les rhumatismes, pour confectionner une mixture spéciale chevaux. Elle l'avait déposée à l'écurie quelques jours plus tôt, mais n'avait pas eu l'occasion de croiser la palefrenière depuis. Et puis, quitte à démarrer une conversation, autant parler boulot tout de suite et essayer de trouver des sujets plus intéressants après...

Spoiler:

Jordan sourit au compliment de Zofia, avant de siroter son punch en observant elle aussi les différentes arrivées. Une Tommie aux boucles d’or qui discutait avec un CJ méconnaissable, une Marybeth aux yeux bleus et un Orpheo renversant. Décidément, le sort semblait gagner en imagination à mesure que la soirée avançait. À côté de certains changements, une simple teinture tenait plus de l’anecdote que du spectaculaire. Enfin, l’ensemble était plutôt sympathique et distrayant, juste ce qu’il fallait pour une soirée de Samhain. Ou plutôt d’Halloween, comme elle ne pouvait s’empêcher d’y penser encore. Alors qu’elle se remémorait, sourire aux lèvres, quelques Halloween passés, Zofia la rappela sur terre avec une question sur une des juments dont elle s’occupait.

Après le passage de Rachel sur la Noble Lande, les affinités de Jordan pour les animaux n’étaient pas passées longtemps inaperçues. De toute façon, contrairement à sa sœur, Jordan ne cachait généralement pas ses dons, sans s’en vanter, elle en parlait aussi naturellement que de sa nationalité canadienne. Elle savait que certains membres de sa communauté se montraient réservés à ce sujet car ils avaient souvent dû affronter l’intolérance, l’incompréhension, voire la peur, mais ça ne lui était jamais arrivé directement et elle n’avait donc pas adopté le même réflexe de prudence que son aînée. Ainsi, quand Arieh l’avait branchée sur ce sujet, elle n’avait pas hésité à lui expliquer la teneur de ses aptitudes et à préciser que oui, effectivement, cela faisait d’elle une candidate idéale pour tout travail avec les animaux. Elle avait donc été affectée à l’écurie, mais, par la force des choses, se retrouvait finalement à cumuler plusieurs postes et divisait son temps entre les chevaux, les moutons et les volailles, même si les équidés avaient sa préférence. Même pour quelqu’un comme elle, on avait vite fait le tour des moutons et des poules, mais les chevaux étaient particulièrement sensibles et intelligents.

Les écuries de Sywhaîd étaient pleines de chevaux et de juments utilisés pour le travail ou pour le divertissement des Sywhaîdiens. Chacun avait son caractère et sa personnalité, que Jordan avait appris à connaître, de Peggy Sue l’espiègle à la fière Epona en passant par la vénérable Millie, la doyenne. Confrontée aux rhumatismes de cette dernière, Jordan s’était tournée vers Zofia pour tenter de trouver un remède et l’apothicaire lui avait confié un remède que la palefrenière avait appliqué tous les jours sur les jambes osseuses de Millie. Avec un résultat plutôt probant.

- J’ai l’impression, mais j’attendais un jour de forte pluie pour te confirmer ça, elle a toujours plus mal quand le temps est humide.

Elle sourit à sa voisine. La première application de la mixture et la comparaison entre Millie et Mamie Cathy les avaient bien fait rire lorsque Zofia était passée à l’écurie ce jour-là.

- Au fait, tu veux que je m’occupe de rafraîchir la crinière de Djinn ou tu auras le temps de passer le faire ?

[Tu me dis évidemment si Zofia ne coupe jamais la crinière de Djinn, je trouverai autre chose^^]

Avant Sywhaîd, alors qu’elle vivait librement à Chicago et soulageait inconsciemment –ou presque- les consciences des autres, Lucky menait une vie sans heurts et s’appliquait à entrer dans le moule défini pour elle par la société. Ainsi, elle mangeait de la dinde pour Thanksgiving, sortait le drapeau américain à la fenêtre le 4 juillet (et le drapeau irlandais à la Saint Patrick), et se rendait à la plupart des fêtes organisées à Chicago, de l’illumination de la ville à la parade de Noël. De même, elle ne manquait pas une occasion de se déguiser pour halloween. Depuis toute petite, elle adorait se déguiser et ne manquait pas une occasion de se travestir le temps d’une soirée. Et à Halloween, elle avait même le droit de sortir dans la rue comme ça ! Elle s’était d’ailleurs portée volontaire plusieurs années de suite, pour accompagner des groupes d’enfants du quartier sonner aux portes et réclamer des bonbons (elle obtenait généralement une compensation en nature, qu’elle avalait au fur et à mesure de la soirée, histoire de voyager léger.

Cette année, Halloween avait un goût de nouveauté pour Lucky. Arrivée à Sywhaîd au début du mois, elle avait eu pas mal de choses à digérer. D’abord la Magie. Certes, elle savait que la Magie existait, sinon son don serait inexplicable. Mais de là à envisager différentes formes de magie, de là à croire en son existence réelle, en un monde quasi parallèle plein de sorciers (des sorciers quoi !), de médicomages, de Brume magique, de plantes qui parlent, de baguettes magiques et de potions d’enchantement comme dans les livres… Et bien c’avait été dur à avaler pour l’américaine, qui s’étonnait toujours de découvrir de nouvelles choses chaque jour, parfois avec plus ou moins d’appréhension.  Elle n’était pas encore acclimatée à cent pour cent et se demandait si elle y parviendrait un jour.

Oh, les Sywhaîdiennes étaient véritablement sympathique mais elle avait très vite découvert qu’ils n’étaient pas aussi sereins qu’elle l’avait espéré, et l’approche de certains autochtones la faisait carrément fuir, de peur de voir sa (faible) résistance céder sous le poids de la tentation. Dès son arrivée, elle était allée voir les membres du RAD qui, dans un premier temps, lui avaient prêté un petit bracelet permettant d’atténuer les flux externes, étant apparemment à l’origine de son problème, ou du moins en partie. Effet placébo ou pas, Lucky ne quittait plus le bijou –en métal assez fin mais pas des plus gracieux. La sensation était légère mais, si elle sentait toujours les tensions qui régnaient dans la tête ou le cœur des gens, lui brouillait les idées juste assez pour qu’elle puisse restée concentrée et résister à la tentation d’intervenir. La prof de MC l’avait également prise sous son aile et ensemble, elles travaillaient à l’élaboration d’un plan d’action afin que Lucky se rétablisse et utilise durablement son don.
Mais ce soir était un soir de fête et Lucky, forte de bonnes résolutions, avait décidé de se jeter dans le grand bain et d’affronter la foule d’une communauté réunie dans un seul et même lieu. Croisant les doigts pour que ce ne soit pas une de ces idées foireuses donc elle avait le chic, elle rajusta -peu délicatement- son collant, lissa sa robe de dentelle noire et se mit en route pour la Lande.

Arrivée à l’entrée du chapiteau, elle se ravisa et ôta prestement le chapeau de sorcière vissé sur sa tête. Elle avait toujours adoré Halloween et l’après-midi passé à creuser des citrouilles lui avait fait oublier qu’elle était entourée de sorciers et sorcières qui n’apprécieraient peut-être pas le clichée –d’autant qu’elle n’avait pas vu un chapeau pointu depuis son arrivée.

Chapeau à la main, elle entra sous la tente et son regard se figea sur Orpheo, comme chaque fois qu’elle le croisait. Malgré son évidente bienveillance, l’apparence du squelette la faisait carrément flipper. La première fois qu’elle l’avait croisé, peu de temps après son arrivée, elle en avait hurlé de frayeur et s’était réfugiée dans sa chambre, guettant avec anxiété le passage du smoking sous sa fenêtre. Ce soir, il était tout aussi effrayant que d’habitude même si elle savait à présent qu’il n’était pas dangereux.

Un souffle frais sur sa nuque lui fit porter la main à ses cheveux et c’est alors seulement qu’elle se rendit compte qu’un truc clochait. Lucky fit quelques pas vers le miroir en pied et se regarda, circonspecte. Elle avait les cheveux châtains, courts, ternes et rêches comme de la paille. Et elle n'avait plus de maquillage. Machinalement la jeune femme se retourna pour voir si le reste de sa belle tignasse rousse gisait à l’entrée, mais ne vit rien. Un sortilège, en conclut-elle rapidement. Un sortilège qui rend les gens beaux, plus beaux et les moches, plus moches, visiblement. Avec sa robe dentelle et sa crinière (car ses cheveux avaient de toute évidence été remplacés par du crin) elle avait l’air non plus d’une sorcière, mais d’une ermite.

Spoiler:

- Super ! Lâcha-t-elle, cynique, à l’attention de personne en particulier.  

Lucky soupira et décida de ne plus y prêter attention. Relevant le nez, elle tenta de repérer quelqu’un avec qui discuter, de préférence un humain pure souche, et avisa une chevelure bleue des plus intrigantes.  

- Salut ! Oh Marybeth ! S’exclama-t-elle en reconnaissant l’intéressée sous les mèches violettes. Très chouette la couleur ! Dit-elle sincère. Accepterais-tu la compagnie d’un épouvantail ? demanda-t-elle en ponctuant sa requête d’un sourire désabusé.