[Corvée] Muddy moody buddies.

"Saleté... de... putain... de... connerie... de... brouette... de... merde !"

Cela faisait plus de cinq minutes que Zeke s'acharnait sur la brouette sans qu'elle ne bouge d'un pouce. Et il n'était même pas fautif ! Arrivé une dizaine de minutes plus tôt que l'horaire prévu pour la corvée (il n'avait été dans les marais qu'une fois depuis son arrivée et avait mal calculé son coup), il avait trouvé une brouette complètement embournée dans ce qui était une sorte de trou où la terre avait complètement séché. La dernière personne à utiliser l'outil avait peut-être quitté les lieux précipitament (comme c'était arrivé à Zeke quand, en pleine excursion de son nouveau lieu de vie, il était tombé sur des Black Dwarves, ou plutôt ils lui étaient tombés dessus, l'expérience l'avait un peu refroidi quant à l'excursion sauvage et sans préparation de la campagne sywhaîdienne), et le soleil de cette jolie journée d'automne avait fini de sceller la brouette vide au sol.

Zeke se redressa soudain et enleva d'un geste énervé sa chemise en lin beige et la balança sans plus de cérémonie à quelques pas de là, dans un endroit relativement sec où il avait déjà abandonné sa veste en jean doublée de peau de mouton, beaucoup trop chaude pour les douces températures de la journée (les six premiers jours qu'il avait passés à Sywhaîd avaient été pluvieux, il avait pris l'habitude de se couvrir). A présent torse nu, ne portant plus qu'un jean bien coupé, avec un trou au niveau de la cuisse, rentré dans des bottes en cahoutchouc que Zelia l'avait forcé à acheter avant de venir dans la Noble Lande, il se pencha de nouveau et, de toutes ses forces, agitant ainsi une musculature plus qu'honorable, essaya encore une fois de bouger l'objet.

"Ah mais c'est pas vrai !"

Il se redressa d'un coup, en se retenant de balancer son poing dans le métal de la brouette. Il commençait à sérieusement voir rouge, ce qui n'était pas exactement une bonne chose. Seul dans les marais, dans un environnement peu accueillant, voire dangereux, ça n'était pas le moment de déclancher une attaque de panique. Il ferma ses beaux yeux bruns, remis derrière son oreille une mèche qui s'était échappée de sa courte queue de cheval et prit plusieurs inspirations pour se calmer.

Quand il rouvrit les yeux, il put admettre qu'il aurait besoin d'aide pour bouger la brouette et s'appuya contre l'objet pour attendre les personnes qui étaient inscrites sur le planning avec lui, à savoir une certaine Tommie et un certains Alexis, tous deux inconnus au bataillon. Il faut dire qu'en une semaine tout pile à Sywhaîd, Zeke n'avait rencontré que peu de gens. Son cv (qui avait bien fait marré Arieh, il faudrait qu'il pense à faire payer ça à Zelia) avait ouvert pas mal de postes fixes libres, et il avait demandé quel était le plus urgent à combler, ce à quoi Arieh avait répondu qu'ils avaient beaucoup de mal à trouver quelqu'un pour la volière. Zeke avait toujours eu un bon feeling avec les animaux (il était le seul des non-sorciers de la famille à ne s'être jamais particulièrement ému du loup que Zelia trimballait partout) et il avait donc accepté... Sauf qu'il n'y connaissait pas grand chose dans le domaine, et qu'il y avait pas mal de travail, du coup il avait passé une semaine à principalement étudier toutes les consignes laissées par son prédécesseur, et à travailler à la volière, sans compter les quelques excursions autour du village. Cette corvée de tourbe était la première corvée qu'on lui avait imposée, l'occasion de rencontrer un peu ses concitoyens.

Les bras croisés sur son torse musclé, il baissa son regard sur son poignet droit, où se trouvait le srivatsa (noeud sans fin bouddhiste) qu'il s'était fait tatouer avant de partir pour Sywhaîd, histoire de ne pas oublier que ce qui l'attirait dans la Noble Lande était aussi la communauté, et l'esprit qui allait avec. Zeke avait toujours été quelqu'un de sociable, mais quand il allait mal, il était facilement solitaire. Et la solitude n'était pas bonne pour lui. Il s'était promis qu'il ferait tout pour s'intégrer, pour ne pas rester seul. Il frotta doucement son pouce gauche sur le tatouage, comme pour se porter chance. D'autres tatouages étaient visibles, tous à l'encre noire, dont la magnifique tête de mort recouverte de papilllons et entourée d'arabesques qui recouvrait son épaule droite et une partie de son bras droit (qu'il avait faite au décès de son mentor une dizaine d'années plus tôt), une citation sous le bras gauche (invisible tant qu'il ne levait pas le bras) : un tatouage traditionnel thailandais composé de deux tigres et d'inscriptions diverses qui se trouvait sur sa hanche gauche ; une fleur de lotus stylisée sur sa clavicule ; plus discret, un petit symbole ohm sur son annulaire gauche, à l'endroit où un anneau de mariage aurait été trouvable chez d'autres ; et quelques autres encore, tous de bon goût, tous très joliment exécutés.

[Tommie ? Alexis ?]

Ah, le marais. Sa tourbe. Ses insectes. Son humidité. Voilà bien une partie de Sywhaîd que Tommie se serait passé de retrouver. Certes, elle avait dit à Arieh de l'affecter à la corvée qui en aurait le plus besoin. Mais elle pensait qu'il allait la faire tricoter, ou, ou... bon, elle n'y avait pas vraiment réfléchi, en fait.

La jeune femme soupira. Elle avait trop chaud dans son pantalon gris crasseux (le seul suffisamment moche pour qu'elle soit prête à le sacrifier à la tourbe), son t-shirt et ses bottes en caoutchouc. Elle attrapait ses longs cheveux bruns pour les relever en un chignon approximatif lorsqu'une exclamation lui parvint aux oreilles. Quelqu'un était très en colère contre une brouette, apparemment. Ca, ça devait être un camarade de corvée.

"Besoin d'aide ?" appela-t-elle.

Elle arriva en vue de Zeke, et de la brouette contre laquelle il s'appuyait. L'engin avait l'air sacrément embourbé.

"Vu mon absence de masse musculaire je sais pas si je serai d'une grande utilité, mais je peux essayer."

D'ailleurs en y repensant c'était un peu décevant que les deux dernières années ne lui aient pas permis d'augmenter un tant soit peu ses biscotos. Il faut dire que c'était plutôt le rayon de Tessie, ça. Tommie, elle, organisait, négociait. Elle courait plus vite qu'avant, ça oui. Faut dire qu'elle avait été poursuivie un certain nombre de fois et Tessie n'avait pas toujours été là pour la jeter sur son dos comme un vieux baluchon. Mais niveau force, non. Que dalle. Peut-être Sywhaîd serait-il l'occasion de se lancer ? Tommie imaginait déjà la tête de Steamer si elle commençait à se lever aux aurores pour faire des pompes. Elle dû penser trop fort car la gerboise lui lança un regard noir.

"Tu pourras toujours demander au bonhomme de t'entraîner", siffla-t-il très bas, pointant le museau vers Zeke dont les abdos se remarquaient autant que les tatouages.

Tommie lança un regard à son daemon qui avait tout du "ne me tente pas".

"Je ne crois pas qu'on se soit déjà vus, au fait", dit-elle à Zeke tout en attrapant l'une des poignées de la brouette. "Moi c'est Tommie".

[Alexis ??]


"Zeke." répondit ce dernier avec un sourire qui, pour quelques secondes, illumina son visage et lui donna l'air plus jeune (et plus heureux) qu'il ne l'était. Ses yeux souriaient toujours quand il ajouta, après quelques fractions de seconde de réflexion : "Pas forcément besoin d'une grosse masse musculaire..."

Il regarda autour de lui puis alla récupérer une des pelles qui étaient disposées contre la petite cabane où les sywhaîdiens rangeaient les outils des marais. La pelle était énorme, rustique. Il la soupesa, l'observa rapidement, puis hocha la tête, elle ferait l'affaire.

"Si je fais levier au bon endroit, normalement, tu devrais pouvoir pousser la brouette facilement." expliqua-t-il tout en cherchant le point qui semblait être celui qui donnerait le plus d'appui.

Il ne vint même pas à l'idée de l'anglais de proposer l'utilisation de la magie. Bien qu'au fait de l'existence du monde sorcier depuis sa naissance, Zeke avait grandi dans une famille principalement non-sorcière, et n'avait donc que très peu assisté à des actes magiques dans sa vie. Bien sûr, avec les enfants d'Enrike qui étaient eux-mêmes sorciers, et un gêne sorcier visiblement fort chez les Diulcinea, l'équilibre familial était tranquillement en train de changer de camp. Peut-être que dans une dizaine d'années, la magie aurait trouvé sa place à la tablée dominicale, mais pour le moment ça n'était pas le cas. Et ça n'était pas en une semaine dans un village sorcier qu'il allait prendre de nouvelles habitudes à ce sujet (surtout pas dans un village comme Sywhaîd où même les sorciers utilisaient leurs pouvoirs avec parcimonie).

Il ne fallut pas beaucoup de temps à Zeke pour trouver où appliquer son système de levier. Il avait toujours eu un esprit pratique plutôt développé, ça lui avait pas mal servi dans sa carrière de reporter, visiblement à Sywhaîd ce serait utile aussi.

"Quand le levier aura commencé à faire effet, si tu pousses d'un coup sec sur les poignées, ça devrait désencastrer la brouette..." dit-il, comme s'il avait déjà désembourbé des tas de brouettes dans sa vie.

Après avoir remis sa mèche rebelle en place d'un geste mécanique, il prit une grande inspiration et poussa de toutes ses forces sur la pelle. Avec un bruit de succion peu glorieux, la brouette, bougea légèrement, juste ce qu'il fallait pour que Tommie finisse de la libérer, si l'ancien reporter ne s'était pas trompé...

[Comme ça traine depuis octobre, je propose qu’on continue tranquillement en pnjisant Tommie jusqu’à son retour ?]


« Zeke. » répéta une nouvelle fois l’anglais, avec un second sourire sympathique, avant de hocher simplement la tête lorsqu’Alexis proposa qu’ils s’y mettent. « Arieh m’a donné un papier avec la zone qu’il faudrait récolter… Attendez… »

Il fouilla ses poches de pantalon, ne retrouva pas le papier, et se dirigea vers sa veste posée au sol. Il fouilla un instant toutes les poches, avec l’impression de plus en plus énervante qu’il ne trouverait pas le papier en question quand, finalement, il le sentit sur ses doigts au moment où il fouillait pour la troisième fois la même poche. Bon. Il prit une inspiration et se retourna vers ses compagnons de corvées avec un sourire qui, s’il était forcé, l’était d’une façon assez talentueuse pour que des inconnus ne le voient pas. S’il y avait un talent que les Diulcinea partageaient, c’était celui de dissimuler. Certaines personnes un peu moins sympathiques auraient pu dire mentir, mais le débat était pour un autre jour. Pour le moment, c’était bien pratique de pas avoir à montrer à tout le monde comment il se sentait constamment, parce qu’il est clair que personne n’aurait accepté de le suivre dans une corvée potentiellement dangereuse (les Black Dwarves pouvait être mauvais !) s’il avait montré ses réels états d’esprit.

« Ah ! Visiblement, c’est par là. » dit-il en montrant un coin de la tourbe à l’opposé de là où ils se trouvaient.

Et comme il avait besoin de s’occuper pour ne pas trop dériver intérieurement, il prit la brouette… Mais ça n’était pas suffisant, alors il demanda à Alexis :

« Va pas croire que je suis en train d’utiliser la phrase d’intro la plus éculée du monde, mais je t’ai déjà vu quelque part, non ? »

Zeke avait en effet une très bonne mémoire des visages, et il était à peu près sûr que celui du jeune homme ne lui était pas inconnu… Par contre, impossible de mettre le doigt dessus.