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 Fragments du Faubourg

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Tommie Moogle
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MessageSujet: Fragments du Faubourg   Fragments du Faubourg Icon_minitimeVen 5 Sep 2014 - 23:56


Août 2014

« Pose la soie et met tes mains derrière la tête. »

La voix calme, aussi assurée que la main qui tenait le briquet.

« Recule. »

L’homme obtempéra, un pas après l’autre jusqu’à ce que son dos heurte la porte. Il n’eut que le temps de voir une main massive s’approcher de ses tempes avant de perdre connaissance.

Tommie soupira profondément et ferma le briquet.  Un museau frétilla sous ses longs cheveux bruns, une gerboise en sortit. Calé sur l’épaule de son humaine, Steamer observa le désastre : de l’essence partout sur le sol, une odeur abominable. S’ils n’agissaient pas très vite ça allait certainement imprégner les tissus.

« Il va falloir faire quelque chose, Tessie », dit-elle. « Ils finiront par ne plus croire au bluff.

- J’en fais quoi ? »
demanda Tessie, désignant l’homme à terre d’un doigt qui aurait suffit à briser le cou de Steamer.

« On verra plus tard - pour l’instant il faut qu’on charge. »

Tessie chargeait, pour être plus exact ; Tommie, elle, vérifiait l’inventaire. Chaque bout de tissu était répertorié dans un recoin de son téléphone, sous un code. Il fallait s’assurer que l’intrus n’avait rien eu le temps de sortir avant que les deux femmes le surprennent. Mais alors que Tommie s’activait, avec l’aide de Steamer qui plongeait dans les caisses pour en sortir les échantillons,  les questions se multipliaient : où aller maintenant ? elle avait l’impression d’avoir joué sa dernière carte avec cet entrepôt. Il n’y avait personne en ville en qui elle avait suffisamment confiance pour lui laisser son précieux chargement. Soudain, alors qu’elle faisait signe à Tessie de fermer la dernière des cinq caisses, elle eut une idée.

« Tessie ?

- Oui Tommie ? »


Tessie lui avait répondu la mâchoire serrée –l’une des soiries, ornée de petits chevaliers portant des lances, ne voulait pas se laisser enfermer et le tissu poussait avec violence contre le couvercle de la caisse. Tommie regardait la lutte d’un air absent.

« Mrs Song pourrait les garder, non ? »

Sur le point de hisser la caisse sur son épaule, Tessie s’arrêta net.

« Non.

- Personne n’irait les chercher là-bas.

- Confie-lui quoi que ce soit et tu seras trop morte pour venir le récupérer ! Tu connais les histoires !

- Tu y crois vraiment ?

- Ecoute, je suis née ici. Je sais qu’elles sont vraies. Quand j’étais au collège une de mes amies, Leticia Brinks, est tombée de son vélo devant chez Mrs Song. Elle l’a soignée, elles ont pris le thé ensemble – une semaine après le vélo de Leti est passé par-dessus une falaise et on l’a trouvée… disons que cette fois-ci personne n’aurait pu la soigner.

- C’est arrivé où ? Il n’y a pas de falaises ici.

- Justement. »

Tommie soupira, désemparée.

« Tu vois une autre solution ?

- On pourrait les cacher encore un peu à la forge.

- Non ! Duane pourrait les trouver. Ou Babe, ou même un client. Et c’est trop risqué. Si la Championne s’attaque à la forge c’est toute l’économie du quartier qui va se dérégler.

-Mais même si, même si on courrait le risque, Mrs Song n’accepterait jamais, Tommie.

- Peut-être, mais elle ne nous trahira pas. Elle n’est pour aucun camp. Il faut juste espérer que par miracle elle voit un intérêt à nous aider. »

Tommie se tenait à présent au milieu de l’entrepôt vide. Les caisses chargées dans la camionnette, il ne restait qu’à effacer leurs traces. Elle rejoignit son amie qui l’attendait près de la porte.

« Tessie, j’ai besoin qu’on soit d’accord sur ce coup-là. »

La jeune femme enfonça ses mains dans ses poches.

« Ok. Mais deux semaines, maximum. Le temps de trouver mieux. Et je n’entre pas chez elle.

- Ok. »


Tommie sortit le briquet, et dans un même mouvement l’ouvrit et le jeta sur la trainée d’essence. L’entrepôt s’enflamma aussitôt et Tommie resta immobile un instant, paralysée par l’angoisse. Protéger la soie n’avait jamais été simple, mais pour la première fois elle se sentait vraiment au pied du mur. Si elle ne trouvait pas une solution, des gens allaient commencer à mourir. Peut-être Tessie, peut-être elle-même. Peut-être des innocents qu’elle avait mêlés à cette histoire sans qu’ils en aient conscience, comme Duane et Babe –qu’elle avait été stupide !

« Tommie ! » appela Steamer.

La jeune fille se rendit compte que les flammes léchaient ses baskets rouges. Elle se recula d’un bond et monta dans la camionnette. Tessie avait coincé l’homme inconscient à l’arrière, par-dessus les caisses de soie, et enclancha le moteur dès que Tommie eut un pied à l’intérieur.

« Tu ne m’as pas dit quoi en faire.

- Tu as une idée ?
demanda Tommie.

- Amène-le avec toi chez Mrs Song, elle s’en débarrassera pour nous.

- Très drôle. »


Tessie haussa les épaules et paraissait sur le point d’ajouter quelque chose lorsque le portable de Tommie se mit à sonner.

« Allô ?

- Tu es chez toi ?
demanda la voix fluette de Babe. J’ai plus d’arrow-root.

- Babe, je t’ai dit, t’as ma clé, tu peux entrer et te servir.

- Mais ça me gêne !

- Je suis encore avec Tessie, on… boit des coups. Quoi ?
ajouta-t-elle à l’attention de la conductrice, qui  lui faisait de grands signes.

Tessie pointa vers l’homme à l’arrière.

« Oh. Euh… Babe ? Tu sais, ton travail pour l’obscure agence gouvernementale ?

- Mmh mmh ?

- Tu saurais où laisser quelqu’un dont tu n’as pas envie qu’il soit retrouvé tout de suite ?

- Ben ça dépend, répondit Babe, il est mort ?

- Juste assommé.

- Trouve une bouche d’égout et largue-le dedans. Au pire il ressortira dans quelques semaines, au mieux il trouvera un travail, une nouvelle famille et il mutera.

- T’es sûre ?

- Oh oui, Duane connait une fille à qui s’est arrivé. A chaque fois je dois lui apporter son café à la bouche d’égout, c’est pénible. Tu es sûre, pour ton appart’ ?

- Oui oui. Je dois y aller, ok ? Merci pour l'info.

- De rien ! Je te garderai une part de gâteau. La bise à Tessie. »


Tommie raccrocha, baissa les yeux sur Steamer qui s’était installé sur ses genoux. Le caresser la calma un peu. Elle se retourna ensuite vers Tessie.

« Il y a une sortie d’égout sur le chemin de chez Mrs Song ? »
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Tommie Moogle
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MessageSujet: Re: Fragments du Faubourg   Fragments du Faubourg Icon_minitimeJeu 18 Sep 2014 - 16:01

Septembre 2012

Tommie posa sa malle en plein milieu de la place. Steamer, qui avait passé la plupart du voyage tranquillement installé dans la poche de son manteau, était depuis quelques minutes grimpé sur son épaule, puis sa tête, avide de scruter ce qu'il voyait.

« Ce n'est plus vraiment Glasgow, murmura-t-il.

- Je ne comprends pas, dit Tommie. Est-ce que nous avons traversé une espèce de Brume, comme à Sywhaîd ? Je n'ai rien senti. Il ne s'est rien passé. »

Steamer s'agita nerveusement, emmêlant les cheveux de la jeune femme.

« Est-ce qu'on est au moins dans la bonne direction ? Fais voir le journal ?

- Quel journal ?

- Le journal, avec l'annonce pour le job.

- De quoi tu parles, Steam ? L'annonce c'était une affiche dans la rue, je ne pouvais pas la prendre.

- C'était un journal et tu as mis la page dans ta poche !

- Non, j'ai noté l'adresse dans mon carnet, juste... »


Elle s'interrompit, fouillant son manteau.

« J'étais persuadée... »

Steamer soupira. La nuit commençait à tomber et lui à s’inquiéter vraiment. Ils n’étaient plus à Glasgow, ou, s’ils étaient encore à Glasgow, c’était une partie de la ville qui ne figurait pas sur les cartes, qui n’était desservie par aucun bus. Sur la place, il n’y avait rien qu’un grand arbre dont les racines mangeaient les pavés et un vendeur de légumes au visage dissimulé par un capuchon. Autour de la place, des bâtiments délabrés. Non, pas délabrés, plutôt… anciens. Très anciens.

« Je vais demander, dit Tommie, et avant que Steamer ait pu faire quoi que ce soit elle s’approchait déjà du vendeur. Excusez-moi ! »

L’homme tourna la tête vers elle. C’était un gamin, pas plus de quatorze ans, et il la considéra avec enthousiasme.

«  Des blettes pour vous faire plaisir ? Des radis noirs ? Du chou frisé ? Excellent pour la santé !

- Désolée, je voudrais juste savoir où nous sommes.

- Oh, ici c’est la place Vauban
, répondit l’adolescent.

- Non, pas ici ici, ici… en général. Cet endroit.

- Oh. »

L’air du gamin se fit plus sérieux, il la considéra un instant, remarqua pour la première fois la gerboise, redescendue sur son épaule.

« Ici c’est le Faubourg. »

Il s’interrompit un instant puis demanda, la voix débordante de curiosité :

« Comment êtes-vous entrés ?

- Je ne sais pas vraiment
, répondit Tommie. Je ne suis pas sûre d’être au bon endroit.

- Alors c’est que vous cherchez la forge
, dit le gamin. On y trouve toujours ce qu’on cherche. »

Il avait soudainement l’air un peu maussade.

« Y’a aussi du chou frisé, à la forge.

- Et sinon, euh… pour revenir à Glasgow, c’est par où ?
intervint Steamer.

- Oh, par-ci par-là. J’peux pas trop vous dire.

- On pourra nous dire, à la forge ? »


Il haussa les épaules, attrapa une aubergine et la considéra pensivement. Tommie s’aperçut alors que le garçon n’avait pas de mains.

« C’est par là, la forge, dit-il en indiquant une petite rue qui descendait de la place par un escalier. Vous pouvez pas la manquer.

- Merci beaucoup
, dit Tommie. Juste une dernière question : vous n’auriez pas entendu parler d’une soierie dans le coin, par hasard ? C’est ça que je cherche.

- Non.

- Merci quand même. »


Tommie prit le chemin qu’il lui avait indiqué, et au moment où elle s’enfonçait dans l’escalier Steamer tourna la tête pour regarder une dernière fois la place. L’étal était toujours là, mais le petit vendeur avait disparu. L’aubergine gisait à terre.


Il leur fallut un petit quart d’heure de marche pour atteindre la forge. Après l’escalier, ils avaient continué tout droit le long d’une rue sinueuse, croisant plus de bâtiments anachroniques –et pourtant, après le temps qu’elle avait passé à Sywhaîd, Tommie n’était pas exactement habituée à de la modernité architecturale- et de petites échoppes, la plupart desquelles étaient en train de fermer. Ils seraient passés devant la forge sans la voir si Steamer n’avait pas relevé le léger bruit d’enclume qui s’élevait d’un soupirail près des pieds de Tommie. Elle se baissa, essayant d’apercevoir l’intérieur de la boutique.

« Y’a une porte sinon, juste à gauche ! »

Le soupirail était trop étroit pour que Tommie distingue le propriétaire de cette voix. Elle balbutia un « merci », se releva et remarqua la porte, légèrement en contrebas de là où elle se trouvait. Une porte peinte dans un violet un peu passé, qu’on s’attendrait à trouver sur un pantalon en velours rescapé des seventies. Le genre de pantalons dont Mason avait été grand amateur à une époque, se souvint brièvement Tommie.

Elle entra ; c’était bien une forge, dans le sens où il y avait ce bruit assourdissant, une chaleur infernale et un écran de fumée blanche entre elle et le reste de la pièce. Steamer leva le museau, essayant de distinguer quelque chose.

« Vous n’êtes pas du coin, vous. »

La même voix, juste à côté d’eux. Tommie sursauta et Steamer faillit dégringoler de son poste d’observation. Enfin la fumée se dissipa un et ils purent distinguer leur interlocuteur. Steamer crut d’abord qu’il voyait mal, ou que la fumée lui avait donné des hallucinations, car l’homme qui leur avait parlé n’avait d’homme que la tête. Une tête assez agréable, avec une barbe impeccablement taillée, des cheveux drus et un tatouage à côté de chaque œil. Mais le reste… Le reste était animal, un corps de lion dressé sur ses pattes arrières, en équilibre parfait, comme si le forgeron était moitié daemon.

« Non… non, pas du coin, répondit Tommie. Nous  ne sommes plus vraiment à Glasgow, n’est-ce pas ?

- Vaste question. Géographiquement, je crois que si, même si je n’y mettrais pas ma patte à couper. Politiquement, socialement, ouh là, vous êtes bien loin de Glasgow.

- Comment faire pour y retourner ?

- Pourquoi vouloir y retourner ? Vous avez un truc à faire au Faubourg, visiblement.

- Le Faubourg ?

- Bienvenue ! »
répondit le forgeron, écartant les pattes.

Tommie remarqua alors que maintenant que la fumée n’était plus qu’un voile très fin dans la pièce, celle-ci n’avait plus rien d’une forge. C’était… une supérette, et pas des mieux entretenues. Des rayonnages à moitié vides, un comptoir, une porte entrouverte sur une arrière-boutique. C’était de l’arrière-boutique que provenait la fumée, mais les coups de marteau, eux, résonnaient dans toute la pièce sans qu’il soit possible d’identifier leur provenance.

« Ce que vous cherchez est ici, ajouta l’homme-lion. C’est pas tous les jours que cet endroit vous facilite la vie, mais il a le don pour vous faire trouver ce que vous cherchez.

- Vous avez entendu parler d’une soierie, dans le coin ?
demanda Tommie. J’ai vu une annonce pour un boulot.

- Ah
, dit le forgeron, comme si cette perspective le ravissait. Vous allez rester pendant un moment, alors. Je ne connais pas de soierie mais si vous lui convenez, votre employeur viendra certainement à vous. Vous devriez simplement attendre. Au fait, moi c’est Duane. Duane Kenzie, pour vous servir.

- Tommie Moogle
, répondit Tommie, et voici Steamer. »

Duane tapota la main de Tommie avec sa patte et fit un signe de tête respectueux à Steamer.

« Je loue des chambres, en haut, dit-il. J’en ai une de libre en ce moment. Le voisin n’est pas des plus agréables mais tout laisse à penser qu’il aura bientôt fini ce qui l’amenait ici. Ca vous intéresse ? Sans me vanter, la forge est l’un des endroits les plus imprtants du Faubourg. Et ne vous inquiétez pas, il n’y a pas tant de bruit la nuit… en général.

- D’où vient-il, le bruit ? »
demanda Tommie.

Duane pointa une griffe vers le sol.

« Vous vous y ferez. Au début je me disais ‘avec ma fourrure j’aurais trop chaud, et puis l’humidité, et puis si ceux d’en bas décident de m’annihiler ?’ Mais en fait, ça va. »

Revenu sur la manche de Tommie, Steamer lui adressa un regard interrogateur.

« Je peux juste dormir ici cette nuit ? dit Tommie. En attendant de voir si j’ai le job ?

- Bien sûr
, dit Duane. Et sortez ce soir, n’hésitez pas à vous mêler aux gens. Plus vite vous comprendrez comment les choses marchent ici, mieux ce sera pour vous. »

Il leur lança un sourire amical, ses tatouages se plissant légèrement en même temps que ses yeux, et fut englouti dans une nouvelle vague de fumée blanche.
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MessageSujet: Re: Fragments du Faubourg   Fragments du Faubourg Icon_minitimeMer 1 Oct 2014 - 14:34

Août 2014



Tessie freina si brusquement que Steamer fut projeté dans la boîte à gants.

« Déso, marmonna la jeune femme. Bon ben voilà hein, bon courage. »

Tommie plissa les yeux. La maison de Mrs Song n’était éclairée que par un maigre lampadaire de l’autre côté de la rue. D’épais rideaux pendaient à toutes les fenêtres.

« Si je ne suis pas là dans une heure…, commença Tommie.

- Je me casse.

- Tessie !

- Bon, d’accord. Je gueule ‘j’te l’avait dit !’ et ensuite je me casse. Mais essaie de ne pas mourir, Tommie. Ce serait bien. »


La jeune femme récupéra Steamer et le laissa s’abriter dans sa poche. Elle prit une profonde inspiration et sortit de la voiture.

Mrs Song recevait tellement peu de visite qu’il n’y avait ni sonnette ni paillasson ni même une boîte aux lettres devant sa maison. Aussi Tommie frappa-t-elle simplement, trois coups brefs, tendus. Comme son rythme cardiaque.

Après un instant, la porte s’entrouvrit de quelques millimètres, juste assez pour que Tommie distingue un œil, un œil aux long cils dissimulés par une voilette noire.

« Mrs Song, je m’appelle Tommie Moogle. Je voudrais vous parler. »

L’œil se contenta de la regarder. Tommie sentit Steamer s’agiter dans sa poche, mal à l’aise.

« J’ai une proposition d’affaires pour vous.

- Il faudra revenir
, répondit une voix que son accent faisait chanter. Je ne parle de la Bourse que le samedi. Et encore, pas tous, ajouta-t-elle plus bas.

- C’est un autre genre d’affaires. S’il vous plait. C’est une question de vie ou de mort et vous pouvez me sauver. »

L’œil, qui s’était égaré dans le vague, revint se fixer sur Tommie avec la vitesse d’une balle. La porte s’ouvrit plus largement et Tommie se retrouva face à Mrs Song. Les traits de son visage, elle les distinguait à peine sous la voilette. La voilette était rattachée à un chapeau, le chapeau assorti à une longue robe de chambre noire et blanche qui tombait en traîne autour d’elle. C’était comme si Mrs Song s’était habillée pour une réception dans sa chambre à coucher. C’était magnifique.

« Je ne peux pas vous sauver si vous entrez. Je ne peux vous sauver que si vous acceptez le risque que je cause votre mort. On vous l’a dit, j’imagine ? »

Les yeux de Mrs Song flottèrent un instant vers la voiture où Tessie attendait, phares éteints.

« On me l’a dit.

- Alors suivez-moi. »


Les pièces que Mrs Song fit traverser à Tommie tourbillonnaient trop pour que la jeune fille réussise à en garder une impression précise. Il y avait beaucoup de photos, des portraits immenses qui prenaient des pans de murs entiers et des bougies posées devant elles, à même le sol. Des meubles en bois doré posés aux milieux des pièces, des vases remplis de bijoux. Quelques années plus tôt, Tommie aurait posé des centaines de questions à Mrs Song. Elle aurait voulu voir toutes les robes, entendre parler de tous les gens qui les avaient cousues.

« Maintenant dites-moi. »

La femme s’était assise dans un fauteuil en bois tressé. D’un geste de la main, elle invita Tommie à faire de même.

« J’ai besoin d’un endroit sûr, commença Tommie. J’ai à ma garde des objets qui sont recherchés par beaucoup de monde. Ils ne doivent pas les trouver. Je voudrais pouvoir les laisser chez vous. Très peu de temps, quinze jours au plus, le temps de trouver autre chose.

-  Non
, répondit Mrs Song.

- Je vous en prie, écoutez-moi… »

Mrs Song l’interrompit sans ouvrir la bouche.

« Ce que vous voulez cachez ici, si des gens importants le cherchent, ils le trouveront. Ils me trouveront donc aussi. Je vis ici depuis cinq ans, et j’ai mis beaucoup de volonté à ne jamais prendre parti pour personne. A ne jamais pouvoir être utilisée. »

Tommie se pencha en avant. Elle sentait le cœur de Steamer battre contre sa poitrine. Leurs deux consciences étaient entièrement concentrées sur ce qu’elle allait dire.

« Les objets dont je parle sont des étoffes de soie. Vous connaissez la soie, n’est-ce pas ? Vous en portez en ce moment-même. Mais ce tissu-là n’a rien à voir avec quoi que ce soit. Les fibres sont vivantes. Elles bougent, elles respirent. La teinture est vivante. Vous vivez dans votre royaume pavillonnaire, mais avez-vous déjà vu une armée traversant le désert ? Un arbre dont les fruits nourrissent les étoiles ? Avez-vous drapé un fleuve autour de votre coup et senti votre peau frémir alors qu’il s’écoule sur le tissu ? Et ce ne sont que des détails. Certains carrés, je n’ose même pas les toucher. Ils me terrifient. Ils m’inspirent des pensées dont je ne suis pas capable. Comprenez-vous à quel point ils sont importants ? »

Mrs Song resta silencieuse. La jeune fille et la gerboise retenaient leur respiration.

« Mademoiselle, dit enfin leur interlocutrice, avez-vous beaucoup voyagé ?

- Qu’est-ce qu…, intervint Steamer, mais Tommie lui implora de se taire.

- Pas vraiment, dit-elle. Je n’ai jamais quitté l’Ecosse. Pourquoi ?

- Je vous propose un marché
, dit Mrs Song, légèrement différent de celui que vous aviez en tête.

- Je vous écoute.

- Vous ne pourrez pas cacher votre précieux chargement indéfiniment au Faubourg. Ses pires ennemis y résident. Il vous faut partir.

- Mais je ne peux pas. Je n’ai pas fini ce que j’avais à faire. Personne ne peut quitter le Faubourg sans ça.

- C’est à ça que je peux vous être utile
, répondit Mrs Song. Je connais un passage.

- Mais… mais même en dehors du Faubourg, je ne saurais pas où aller.

- N’êtes vous pas prête à tout pour un peu d’avance sur vos ennemis ? Vous m’aviez donné cette impression. »


Tommie hocha la tête, lentement.

« Que voulez-vous en échange ? »

Mrs Song se renfonça dans son fauteuil. L’espace d’un instant, sous la voilette, elle eut l’air terriblement triste.

« Par une heureuse coïncidence je cherche un endroit, moi aussi. Contrairement à ce que vous pensez peut-être, je ne suis pas une sorcière. Je n’ai aucun pouvoir magique et peu de connexions. Vous me parlez de soie, de beauté, de grandeur. Moi, je pourrais vous parler de malédiction. Si celle dont je souffre a un remède, il me le faut. Si elle n’en a pas, il faut l’inventer. Cinq ans que je cherche et toujours rien, toujours rien ici où l’on trouve absolument tout ! »

Elle s’interrompit, prit une profonde inspiration.

« C’est à cause d’une malédiction que vous vivez comme ça ? demanda Tommie. C’est ce qui fait… mourir les gens ? »

Mrs Song acquiesça.

« Je ne sais pas quoi vous dire, se désola la jeune fille. Je n’ai aucune formation en magie. Je sais à peine quel est mon élément. Je- »

Oh. L'élément, oui. Et elle avait appris d'autres choses aussi.

Au brusque silence Mrs Song releva la tête.

« Je connais un endroit, poursuivit Tommie, ignorant Steamer qui s’agitait furieusement dans sa poche, où peut-être on pourrait vous aider. C’est un endroit comme ici, coupé du monde. C’est très calme. Les gens y étudient beaucoup. Les flux magiques sont très puissants.

- Quoi d’autre ?
demanda Mrs Song.

- Vous me ferez sortir du Faubourg ? Moi et la soie ?

- Oui. Quoi d’autre ?

- Il faut passer des épreuves pour y entrer. Traverser une brume… »


Tommie n’avait pas fini de parler que Mrs Song lui avait mis une feuille et un stylo dans les mains.

« Indiquez-moi le chemin. On partira demain matin. »

Lorsque Tommie ressorti de chez Mrs Song, elle y avait passé une heure et demi et Tessie, sortie de la voiture, faisait les cents pas en tirant trop fort sur sa cigarette. Tommie n’alla pas tout de suite vers elle.

« Tu te rends compte ? siffla Steamer depuis sa poche. Tu leur envoie une malédiction ambulante ! Littéralement ! Et si des gens là-bas meurent et que c’est ta faute ? Tu n’es même pas sûre qu’elle trouve ce qu’elle cherche ! Et si elle nous a menti et qu’elle tue de son plein grès, hein ?

- Je ne pense pas, Steam. Et de toute façon, on le saura bien assez tôt.

- Qu’est-ce... Oh. »


Tommie contempla ses baskets rouges. Elle avait l’impression que bouger un pied la ferait s’écrouler. Mais elle le fit quand même, et s’avança en direction de Tessie.

« Il faut qu'on se dépêche si on veut être prêts avant que le soleil se lève.

- Demande à Babe de nous faire un gâteau, dit Steamer. La route est longue à travers la Brume. »
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