[Cours de MP] Cours III: Partager sa magie

Il avait neigé toute la matinée si bien que quand Isaac débarqua à l’endroit qu’il avait choisi pour donner son cours, toute la lande était recouverte d’un épais tapis immaculé. Enfin… immaculé à l’exception des traces de pas laissées par les lourdes bottes du professeur et les taches plus petites qu’avaient tracé les pattes fines de son daemon gazelle. Après avoir examiné ce paysage rien moins qu’enchanteur pendant quelques minutes, Isaac sortit sa baguette magique de sa poche et fit fondre la neige sur un périmètre assez large pour permettre à tous les étudiants inscrits de s’installer confortablement. A la réflexion, il ajouta d’ailleurs quelques fauteuils, disposés en cercle, ce serait beaucoup plus simple que de se poser bêtement par terre. Lui-même se laissa tomber dans un gros fauteuil rouge et s’adossa confortablement contre les coussins tandis que Kyla venait s’enrouler à ses pieds.

Les jeunes gens ne tardèrent pas à débarquer et chacun d’entre eux se vit gratifier d’un « How do you do ? » et d’un signe de tête accompagné d’un sourire chaleureux. Gaetan eut droit, en prime à un « Merci encore ! » agrémenté d’un clin d’œil. Quand tous se furent installés dans leur fauteuil respectif, Isaac vérifia l’heure à sa montre en or, cadeau d’anniversaire de ses enfants pour ses cinquante ans, douze aiguilles pour neuf mesures possibles et, après avoir frappé dans ses mains recouvertes de moufles – autant pour les réchauffer que pour attirer l’attention – commença son cours :

- Bonjour et bienvenue à tous, je suis le professeur Isaac Kleinman, de New York, vous pouvez m’appeler Professeur Kleinman. J’espère que vous avez tous passé de bonnes fêtes et que vous avez profité de la brèche pour réveillonner en famille. Oui ? Magnifique ! Rien de tel que de passer les fêtes de fin d’année en famille pas vrai ? Surtout si c’est à New York. Enfin, moi, ce que j’en dis…

Il remonta d’un geste nerveux ses lunettes qui avaient tendance à glisser le long de son nez et fit craquer ses articulations.

- Bon, pour commencer, chacun d’entre vous va se présenter et partager avec les autres, en quelques phrases, hein, pas plus, ce qu’il sait déjà, ou croit savoir, à propos de la magie partagée. Gaetan, tu concluras s’il te plaît.

Isaac fit signe à l’étudiant le plus proche de commencer et se renversa en arrière, mains jointes pour l’écouter.

Anna marchait à pas vif sur le manteau neigeux qui recouvrait la belle lande. Elle ne trainait pas car, bien qu’elle était en avance sur l’heure du début du cours, elle avait hâte qu’il commence et qu’elle y soit. De plus, elle avait légèrement froid et espérait que le lieu de cours serait un peu chauffé. Ce fut une belle désillusion quand elle vit les sièges et la neige environnante. Mais qu’importe, elle était avide de tout savoir de cette magie et de l’appliquer à son projet, et, il fallait dire qu’elle trouvait le vieux professeur très sympathique. Il avait certaines attitudes semblables à un chef d’orchestre que connaissait la musicienne. Celui-ci avait une énergie folle à transmettre et dirigeait avec des yeux pétillants de bonheur. Bien que le caractère de ce vieillard de quatre-vingts ans laisse un peu à désirer, Annalda avait de l’affection pour lui et l’appréciait beaucoup. Et, retrouver ses brides de souvenirs dans une personne présente dans l’enceinte de Sywhaid était un bonheur pour Annalda. Certes, Professeur Kleinman n’avait ni l’âge, ni le caractère de ce chef d’orchestre, mais Anna ne pouvait pas avoir de l’antipathie pour lui.

Annalda ne savait pas du tout qui serait présent à ce cours, elle s’était inscrite sans regarder et était revenue voir les lieu-et-date sans y jeter un œil non plus. Première arrivée, elle aurait le temps d’observer l’assistance.

« Tu n’aurais jamais du amener Dunky ! »

Cette voix rauque la tira de ses pensées, exclusivement tournées vers le cours. C’était Jind qui trottinait à côté d’elle. Dunky, le jeune corbeau, était juché dans le creux du cou d’Anna.

« Mais, je n’ai pas le cœur à le laisser à la volière. »

C’était plus ou moins vrai. Réellement, elle se pliait à ses caprices. Elle avait fêté Noël en famille dans la plus pure tradition autrichienne (après Noël puisque la brêche n'était pas encore ouverte). Elle était revenue avec toute sa petite famille à plume, usant mille fois de sortilège de confusion pour passer les frontières sans mal. Elle avait revu son frère qui était dans une bonne passe, et sa sœur, plus belle d’année en année. Tous deux avaient été ravis de voir les oiseaux. Elle avait revu une partie de ses amis, avait découvert les nouveaux couples, félicitait à droite et à gauche, les succès, examens, bébés nés et à venir et avait fêté son anniversaire bien en avance. Elle avait ramené à tous des spécialités Sywhaidiennes, qui eurent beaucoup de succès. Bref, elle était revenue à Vienne pour quelques jours et avaient eu un pincement au cœur en repartant. Ne voir évoluer tout ce petit monde qu’une fois par trimestre était très dure. A l’inverse, tout le monde l’avait gâtée et elle revenait plus chargée que jamais, promettant de continuer à écrire à tout le monde, comme elle le faisait. Dunky, un peu apeuré par tout ce monde, s’était encore d’avantage rapproché d’Anna et avait continué à son retour. Il ne la quittait plus. Jind était un peu jalouse, mais veillait aussi à ce que ces volailles ne prennent pas trop de place sur la vie d’Anna.

Soudain, encore dans ses pensées et souvenirs, Anna sentit sa jambe s’enfoncer plus que d’habitude dans la neige. Cette brusquerie la sortit de ses songes, et elle ressortit son pied … sans sa botte. Après l’étonnement, elle se frappa la paume de la main sur le front. Mais Jind était déjà le nez dans le trou pour attraper la botte en caoutchouc, fourrée, multi usage que sa moitié avait eu en cadeau. Depuis qu’elle avait pataugé dans le marais avec des sacs plastiques au pied, elle avait décidé de s’équiper. Jind lui tendit sa prise et la blondinette enfila son pied dans la botte froide et pleine de neige. Pas de chance. Un jean à toute épreuve, une cape courte et de grandes mitaines bleue-grise assortie à son imposante écharpe finissaient de l’habiller.

Anna se pressa un peu plus et salua le professeur avant de lui répondre un « Okay, thanks. ». Elle se permit un « And you ? » puisqu’elle était la première sur place et s’assit dans un fauteuil. Les autres étudiants s’en suivirent et, après avoir écouté l’introduction et jeté un coup d’œil du côté du fameux Gaetan, Anna se lança.

« Bonjour, je m’appelle Annalda. Je suis Autrichienne, je viens de Vienne. Je m’occupe de la volière depuis peu. Eum voilà. Ah, et je suis en Majeur magie environnementale. Euh ...et voilà Jind, mon daemon, et Dunky.»

Il fallait avouer qu’Annalda s’était lancée en première parce qu’elle ne connaissait pas grand-chose à cette magie.

« Eum … la magie partagée est basée sur les auras magiques des gens, des choses, de ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. »

C’était vraiment maigre, mais elle n’avait pas mieux.

En cet hiver durant lequel les sywhaîdiens avaient tendance à se comporter comme des marmottes et à jouer au trivial poursuit pendant des heures plutôt que de faire de l’exercice, Asa avait plus que jamais de l’énergie en trop à dépenser. Elle passait d’ailleurs pas mal de temps dans ce qui servait de gymnase/salle de sport, au-dessus des écuries. L’autre jour, elle avait carrément sauté sur un certain Waylon pour lui demander de lui donner un cours rapide d’équitation. Le Waylon en question était un drôle de pédagogue, et un drôle de bonhomme, mais Asa était repartie le lendemain de la cabane du garde-chasse avec un bon souvenir d’une bonne soirée, de l’énergie dépensée, et assez de base en équitation pour pouvoir continuer toute seule. [quelle horreur ! Je me rends compte du double sens possible de ma phrase après coup XD] Depuis, il n’était pas rare de la voir emprunter un cheval pour parcourir la lande. Elle n’avait sûrement pas le style d’une cavalière classique, en la voyant on aurait sûrement plus que jamais eu l’image de l’Amazone, sa façon de faire de l’équitation était sûrement aussi « brute » et « sauvage » qu’elle pouvait l’être. Morth, une fois n’est pas coutume, adorait ça. Il se mettait devant Asa, sur le cheval, et adorait la sensation.

Mais Asa n’arriva pas en cheval à l’endroit où le cours allait se faire, c’était pas son genre, elle aurait eu l’impression de bien trop crâner. Elle était venue à pied, d’une marche rapide, Morth bondissant sur ses talons. Etrangement, le daemon était plus vif que d’habitude, alors qu’Asa se serait attendue à ce qu’il hiberne lui aussi. Asa portait un jean noir moulant, des boots, un pull en laine épaisse rouge à col roulé et sa veste en jean. On pouvait voir dépasser du col le rubis qu’Adam lui avait offert et qui aidait à utiliser le feu. En général, elle cachait le pendentif, parce qu’elle avait toujours l’impression qu’il était bien trop précieux pour elle, mais là elle avait oublié de le rentrer sous le pull la dernière fois qu’elle l’avait utilisé, ou observé, c’était son seul souvenir tangible d’Adam après tout. Ses longs cheveux bruns tombaient comme une crinière sur ses épaules et dans son dos.

Elle arriva à l’endroit où le cours allait se passer et salua tout le monde d’un « Hi » rauque et retentissant. Elle s’avachit ensuite dans un des fauteuils, Morth sur les genoux. Les excentricités de ses professeurs ne l’étonnaient plus, elle avait été bien formée dans le Grand Nord de ce côté-là. Elle vit quelques têtes connues, comme Annalda, qui fut d’ailleurs la première à intervenir. Sans se faire prier, Asa enchaîna :

« J’suis Asa et voilà Morth, on vient d’New-York. J’suis en Majeur’ Elémental’. J’crois qu’la magie partagéé permet d’fair’ d’la magie à travers un autr’ êtr’ vivant, non ? Genr’ à travers son daemon par exempl’, ou même à travers un autr’ sorcier. J’suis pas sûr’ qu’on puiss’ l’fair’ à travers un non-sorcier, puisqu’ils ont pas d’flux magiqu’ par contr’. »

Le fait de devoir suivre une mineure Magie Canalisatrice et de s’intéresser plus particulièrement aux flux magiques n’était finalement pas si horrible. Asa avait découvert que la Magie Canalisatrice était assez différente des Forces Mimétiques, et que ça pouvait tout à fait être très inéressant.

Suivre des cours… Si on avait dit à Veerle quelques mois plus tôt qu’elle continuerait son apprentissage après Tryllestarven, sans doute aurait-elle ri au nez du diseur de bonne aventure. Et pourtant la voici, à suivre dans le manteau blanc de la Lande les pas d’un professeur d’âge mûr en compagnie d’une petite troupe hétéroclite d’élèves de toute sorte. Zofia lui avait dit que l’enseignement était très intéressant ; Mathys que ça ne pourrait pas lui faire de mal. De toute façon, il faudrait attendre le dégel si elle voulait explorer à son aise la Noble Lande. Alors, autant s’occuper le temps que prenne fin la saison froide.

L’idée de partager sa magie lui plut immédiatement, même si elle hésita un instant avec le cours de partage Daemon-Humain. C’est Aedenweiss qui posa son droit de veto, lui rappelant que l’initiation chamanique impliquait certains secrets sur les Petits-Esprits qu’elle ne pouvait révéler à de non-initiés. Il préférait donc ne pas y assister, pour éviter d’éveiller la curiosité des Sywhaîdiens.

Finalement, la silhouette du Professeur se dessina à l’horizon, confortablement assis sur un… divan ? La vue de ce carré de terre dégelée où trônaient quelques fauteuils la fit sursauter tant cela jurait avec le paysage ambiant. Elle resta un instant perplexe devant ce drôle de spectacle, mais elle finit bien par se faire une raison : chacun ses excentricités, et au moins cela leur évitera-t-il d’avoir le postérieur tout humide à la fin du cours…

Alors qu’elle s’installait, l’homme au Daemon-gazelle la salua d’une expression de politesse, à laquelle elle répondit par un baragouinement qui ressemblait à « Fine, and you ? ». À moins que ce soit « Fine, thank you » ? Difficile à dire. En tout cas, elle l’avait dit.

Finalement, après avoir observé longuement sa montre – l’Elfe se souvenait avec nostalgie de celle que lui avait offert Mathys, à une certaine époque –, il finit par se présenter comme le Professeur Kleinman, de New-York, puis invita les autres à faire de même. La première à se prêter à l’exercice était la fille au corbeau, qu’elle avait déjà aperçu avec Elie devant le sapin lors des festivités de Yule, suivies de près par Asa James. Toutes deux étaient des anciennes de Tryllestarven, en fait Veerle était étonnée de retrouver autant de visages familiers par ici, avant de se dire que le monde était finalement bien petit. Elles suivaient aussi toutes deux une majeure en Magie Elémentale – sorte de spécialisation, selon Zofia.

Puis enfin, vint son tour :

« Je m’appelle Veerlkën Nashkyis, je suis Chamane. Je viens de Knerùl, très très Nord. Et voici Aedenweiss, mon… Daemon. (Ce dernier salua la petite assemblée d’un signe de tête.) Je fais pas majeure. »

Elle n’était pas vraiment sûre que cette dernière information était bien utile, mais puisque les deux premières l’avaient cité comme un élément important… Enfin, au moins seraient-ils fixés. Restait à définir ce qu’était la Magie Partagée, bien que les grandes lignes semblaient évidentes pour tout un chacun : c’était partager sa magie avec d’autres personnes. Jusque là, rien de bien compliqué. Elle réfléchit un moment à une expérience similaire, puis sourit en jetant un œil vers l’Amazone. La vie jouait décidemment de drôles de tour, de temps à autres.

« Je crois que c’est mettre ensemble magie complémentaire dans rituel pour faire chose que sorcier seul sait pas faire… Pour que ça va bien, tu dois avoir… hm, « ancre » entre deux sorciers, une troisième personne qui « colle » les deux magies. Ça peut faire sans, mais ça aide quand même. Je étais « ancre » une fois, je me servais de dominance terre pour canaliser deux dominances feu… Je, ça est magie partagée, non ? »

Elle adressa à nouveau un sourire complice à Asa James, qui avait aussi participé à cette expérience, puis se tourna vers le professeur, comme pour chercher confirmation.

Gaetan ne savait absolument pas ce qu'il faisait là. Quand le professeur Kleinman lui avait proposé d'assister au cours, il n'avait pas songé à refuser, de peur de contrarier le sorcier (ce qu'il préférait éviter). Inquiet, il avait voulu savoir quel serait son rôle, masi n'avait obtenu que des paroles voulues rassurantes : pas de problème, rien de conséquent, il n'avait rien à préparer. Il soupira : il aurait voulu, au contraire, pouvoir s'organiser, de quelque manière que ce soit, ou, au moins, savoir un peu ce qui l'attendait... Kleinman lui avait dit qu'il enseignait la Magie Partagée, et il s'était longtemps demandé où il en avait déjà entendu parler, avant que le "tilt" tant attendu se produise : c'était Zofia qui, en répondant à sa question sur les daemons, lui avait conseillé de s'adresser au professeur de Magie Partagée, dont c'était le domaine. Les daemons.
Étonnamment, c'était ce qui l'effrayait le plus, chez les sorciers, et il n'était pas vraiment enchanté à l'idée de se rendre à un cours dont ce serait peut-être le thème. Mais après s'être traité de froussard, il avait fait parvenir son accord officiel au professeur Kleinman.

Il arriva en dernier et, gêné, alla s'installer dans son coin sans plus se faire remarquer, après avoir salué l'enseignant et les jeunes filles présentes d'un bref signe de tête. Quand ce fut son tour de se présenter, il bafouilla :

- Euh... Gaetan Saison. Je viens de Belgique et j'ai 15 ans.

Il dégluttit. Kleinman savait-il qu'il ignorait totalement ce que pouvait être la Magie Partagée ? Ils n'en avaient pas parlé...

- Hum... La Magie Partagée... Eh ben... J'suppose que l'essentiel est dit, non ?... fit-il, cramoisi.

- L’essentiel est dit, absolument, enchaîna Isaac, apparemment ravi de la transition et souriant largement à Gaetan pour le remercier de son intervention. Annalda nous a parlé d’aura mais le terme le plus approprié est celui que nous propose Asa. Effectivement, la magie partagée a beaucoup à voir avec la magie canalisatrice et je ne saurais que trop vous conseiller de suivre les cours de Zephira. Et vous avez totalement raison Asa, il s’agit de canaliser ses flux à travers un autre être vivant, que ce soit un daemon, une personne, ou même un animal, ou une plante.

Isaac prit une profonde inspiration et poursuivit :

- La magie partagée vient d'abord historiquement d’une initiative presque humanitaire, à savoir, permettre à des sorciers dépourvus de pouvoirs magiques, vous savez que cela arrive parfois, qu’un enfant de sorciers naissent sans pouvoirs, même si c’est moins courant que l’inverse, permettre à ces sorciers, donc, de pratiquer la magie malgré tout. Certaines personnes en font même un métier, comme des chiens d’aveugle.

Kyla releva la tête devant la comparaison saugrenue avant de retrouver son immobilité sereine.

- Concrètement, la personne en question, l’assistant, partage ses propres flux internes avec l’autre, en l’utilisant un peu comme médium. Comme l’a si bien dit Veerlkën, il n’hésita ni n’écorcha le nom, quand plusieurs sorciers veulent partager la magie, il en faut au moins un pour jouer le rôle « d’ancre » et canaliser tous ces flux avant de les transmettre à la personne handicapée.

De nouveau, Kyla releva la tête et adressa un regard sceptique à sa moitié qui n’y fit pas attention.

- Il est d’ailleurs tout à fait heureux que vous mentionniez les non sorciers Asa, car Gaetan en est un et, grâce à vous aujourd’hui, il va pouvoir performer un acte magique d’envergure. De même que grâce à lui aujourd’hui, vous allez pouvoir accomplir un acte magique requérant une énergie que vous ne pourriez normalement pas fournir.

- Miss Nashkyis, de nouveau, ni hésitation, ni erreur, voudrez-vous bien nous faire l’honneur de jouer à nouveau « l’ancre » pour nous ? Partant du principe qu’elle accepterait, il enchaîna. Vous savez combien il est difficile d’utiliser la magie quand il s’agit de bouleverser l’ordre naturel des choses. C’est donc ce que vous allez faire aujourd’hui. Quelque part sous la terre sommeillent des brins d’herbe. A vous trois, vous pourrez accumuler suffisamment d’énergie pour en faire pousser un, l’espace de quelques secondes. Asa et Annalda, vous allez devoir faire converger vos flux internes vers Veerlkën qui va les canaliser, les stabiliser et y ajouter les siens propres avant de faire basculer le tout vers Gaetan. Gaetan, quand les flux magiques des trois filles s’empareront de toi, tu ressentiras comme une légère décharge électrique, un fourmillement d’énergie, à ce moment là, je te demanderai de visualiser un brin d’herbe, de le voir sortir de la terre et de te concentrer là-dessus. Les filles donneront alors une dernière impulsion à leur force magique afin que l’acte puisse s’accomplir. C’est bon, on est ok ? Allez-y !

[Gaetan, tu n'auras donc à poster qu'à la toute fin, quand les filles auront fini. Pour toute question, mp! Bon jeu!]

[J'ai un peu anticipé sur le dernier paragraphe... Si ça pose problème, faites-moi éditer ^^"]

Enfin, un jeune garçon – seul élève qui lui soit totalement inconnu – se présenta à son tour comme Gaetan Saison de Belgique. Ce dernier n’avait rien à ajouter, et le professeur Kleinman embraya sur une synthétisation des propositions : les réponses des trois femmes se complétaient l’une l’autre, et il conseillait d’aller voir les cours de Zephira (Wood ?), parce que la magie canalisatrice était autant « à voir » que la magie partagée. Bien qu’elle n’ait pas exactement compris le sens de cette publicité gratuite, elle se promit de s’inscrire à un de ses cours pour la saison prochaine.

L’histoire dit que cela viendrait d’une initiative humaine, à savoir des sorciers, pour avoir vu des pouvoirs magiques – cela arrive parfois, dit-il, qu’un enfant naisse avec ce pouvoir, même si c’est moins courant qu’à l’envers – et permettent à d’autres sorciers de voir aussi, malgré tous ces chiens d’aveugles qui en font leur métier. Autant dire immédiatement qu’elle prit ce passage pour une légende allégorique, dont la véritable signification n’était accessible qu’à quelques initiés.

Heureusement, le professeur passa vite à quelque chose de plus concret : la personne partage ses flux avec l’autre, comme s’il était un médium vivant. Il rebondit même sur ses propres déclarations – sans écorcher son nom ! l’exploit était assez rare pour mériter d’être souligné –, et commença à expliquer que si plusieurs personnes s’unissent il en faut au moins une « ancre » pour canaliser les forces antagonistes vers la personne voulue. Pour l’heure, c’était ce jeune garçon – Gaetan, qui n’était pas sorcier – qui serrait l’heureux élu, car il ferait quelque chose qu’un sorcier seul ne pourrait accomplir.

Pour la seconde fois de son existence, Veerle serait l’ancre d’Asa James, même si Annalda remplaçait désormais ce cher Zachary Lévesque. La Chamane hocha la tête sans l’ombre d’une hésitation – l’acte répondait aux trois conditions chamaniques –, puis plissa les yeux tandis que l’homme donnait ses consignes aux deux autres. Elle n’avait pas besoin de l’écouter, juste de se concentrer. Et ses lèvres formaient en silence les noms de quelques Esprits des Roches, pour en appeler à la cohésion des âmes. À la cohésion des êtres, et des fleuves qui les habitaient.

Quand elle cessa d’entendre le monde autour d’elle, imprégnée qu’elle était de cet état second indispensable à sa magie, elle tendit les mains avec gravité à ses deux compagnes, les invitant sans les forcer à suivre ses traditions, cette magie où chaque geste, chaque mot était porteur d’une signification qui lui était propre. Où chaque sortilège prenait l’allure d’une cérémonie… Une main était tendue, il n’appartenait qu’à elles de la prendre, d’accepter ses règles et ses mœurs ; alors elle canaliserait leurs fleuves vers le lit tari de Gaetan Saison de Belgique.

Elle sentit un contact, puis un autre. Ça y était : le canal était prêt à entrer en fonction. Sa tête se tourna vers le destinataire de cette puissance contenue, et bientôt ses yeux s’ouvrirent telles les vannes d’un barrage. La puissance des trois femmes se déversa alors vers le jeune garçon, dernier maillon de la chaîne.

[Aucun problème de mon côté !]


Etrange. Asa et Veerle se retrouvaient à faire un exercice très proche de celui qu’elles avaient déjà fait plus d’un an plus tôt dans le Grand Nord, en plus accompagnée d’une autre ancienne camarade de l’époque. Bon, Annalda était moins sexy que Zachary mais Asa trouvait ça quand même très drôle de devoir de nouveau faire équipe avec la chamane. Autant dire qu’elles étaient rôdées. Enfin non, elles n’avaient fait l’exercice qu’une seule fois mais ça avait suffi à Asa, elle apprenait et retenait vite, elle était futée, et surtout quand on parlait de pratique. Autant il lui fallait toujours du temps pour emmagasiner la théorie, autant la pratique c’était facile. Suffisait qu’elle ait fait une chose une fois pour s’en souvenir. En l’occurrence, faire converger ses flux vers Veerle serait facile. Bien sûr, la dernière fois elle l’avait fait avec des flux élémentaux, ce qui était un peu différent des flux magiques, mais quand même, c’était le même principe.

Elle sourit à Veerle, et à Annalda, et même à Gaetan, parce qu’après tout c’était lui qui allait recevoir une dose importante de magie, le chanceux ! Puis, elle commença à se concentrer. Mobiliser ses flux internes n’était pas quelque chose de facile, surtout quand on n’avait pas fait la transe mimétique. Asa hésitait à tenter cette transe. Morth l’en avait dissuadée pour cette saison, il considérait qu’ils avaient déjà bien assez de choses à faire comme ça, mais ça restait une idée qui flottait dans leurs deux esprits. Ca faciliterait bien des choses, à tous les niveaux, et finirait sûrement par être quelque chose qu’ils devraient faire s’ils voulaient continuer dans leur voie. Mais ils ne voulaient pas trop anticiper, ils risquaient de se couler s’ils essayaient d’aller trop vite.

Au bout de quelques minutes, Asa avait réussi à mobiliser ses flux. Elle rouvrit les yeux et vit, sans grand étonnement, que l’elfe avait tendu ses mains pour que le contact se fasse, comme la dernière fois. Sans hésiter, Asa posa sa main dans celle de l’elfe et referma les yeux. Il fallait beaucoup de concentration pour diriger ses flux vers quelqu’un, c’était assez différent de quand on le faisait naturellement vers un médium. Asa finit cependant par réussir. Il y eut une sorte de déclic et elle sentit ses flux se déverser en Veerle. Drôle d’impression. Comme si elle avait détruit un barrage dans une rivière et qu’elle sentait maintenant l’eau couler à toute vitesse. Ca avait quelque chose de grisant, mais d’un peu flippant aussi. Elle n’avait plus aucune maîtrise, ses flux partaient, allaient en Veerle, ils ne lui appartenaient plus. Elle se força à rouvrir les yeux pour observer ce qui se passerait à présent. Elle voulait voir Gaetan faire pousser le brin d’herbe.

(oké et désolée, je tarde. J’adore lire ce qui se passe selon différent point de vue, selon les personnages : le côté mystique, le côté sauvage, et maintenant le côté musical)

La vague définition d’Annalda avait été rectifiée et développée par les deux jeunes femmes et, à chacune d’elle, l’autrichienne avait affiné son idée sur le sujet en se rendant compte qu’elle n’y connaissait vraiment rien. Du moins, pas encore et c’était pour ça qu’elle venait suivre ces cours. Les regards se tournèrent vers le jeune Gaetan, puis vers le professeur qui donna l’exercice à suivre.

Elle ne savait pas du tout comment s’y prendre. Elle n’était pas Zachary, d’ailleurs, elle ne savait même pas que les deux jeunes femmes avaient déjà fait l’exercice loin d’ici. Les voir fermer si vite les yeux l’étonna donc un peu, mais acceptant l’ignorance et se laissant guider par ses sensations, elle ferma à son tour les yeux. Elle respira avant de fouiller en elle et de canaliser ses flux. Elle les sentait se regrouper, se concentrer, et stagner en elle, comme chaud et lourd. L’oppressante et lancinante énergie était là, en elle, prête à servir. Elle se concentra un peu plus pour ouvrir les yeux et repérer la main tendue de Veerle sans les perdre. Asa était déjà en contact. Annalda alla doucement saisir le point d’accroche et referma les yeux.

Allant chercher sa plus grande conviction, elle tenta de déplacer ses flux magiques. Elle se doutait bien que l’exercice n’était pas évident et, ne l’ayant encore jamais fait, elle expérimentait les techniques un peu au hasard. Les flux restaient là, pourtant. Ce ne fut qu’en relâchant ses muscles pour trouver un autre moyen que l’écoulement se déclencha.

Un instant avant, Anna avait senti ses oreilles vibrer. Une vrille sonore puissante par la profondeur mentale qu’elle possédait et non par le volume sonore qu’elle émettait avait déconnectée son esprit du monde physique. Planant comme sous l’emprise d’une drogue, la jeune femme avait entendu l’implosion de l’énergie dans ses veines, telle une guitare criant sa souffrance alors qu’on l’approche d’un amplificateur, cette saturation insupportable et indésirable. Puis, au comble de son expansion, l’explosion s’arrêta net pour laisser couler les flux sifflant de magie condensée. Anna sentait son cœur battre dans son poignet, comme un tambour de guerre qu’on réveil pour le branle-bas de combat.

Anna ouvrit les yeux, elle n’en avait étonnement aucune difficulté, mais elle se sentait hors du temps et du monde. Comme ailleurs, ses yeux étaient voilés et détachés de la scène, sans réaction à ce qu’ils voyaient mais n’analysaient plus vraiment.

(glp... et moi alors )

Gaetan écouta avec un intérêt dissimulé les corrections et précisions du professeurs : mieux valait comprendre le plus tôt possible quel rôle il allait exactement jouer dans ce cours auquel il ne comprenait pas grand-chose. Quand il fut question des non-sorciers, et de lui en particulier, il sursauta. Bien sûr, il s'attendait à ce que son "statut" soit révélé à un moment ou un autre, mais pas à ce qu'il lui donne une fonction presque capitale dans l'expérience ! "Grâce à Gaetan..." Il dégluttit à nouveau. Comment ça, grâce à lui ? Le professeur expliqua que les trois jeunes filles allaient faire converger leurs "flux" vers lui, l'handicapé, l'aveugle, via une ancre, ou quelque chose comme ça. Le Belge n'était pas sûr de très bien suivre.
Il songeait déjà à lever le doigt pour poser une question (ô, ardue entreprise) quand le déclic se fit : c'était tout simplement un suicide collectif.





Mais il n'était pas tout à fait d'accord. Non.

- Euh... Professeur ?...

Mais Kleinman, enthousiaste à l'idée d'un tel projet, s'était déjà lancé dans les explications, et le non-sorcier eut rapidement confirmation de sa première supposition : il recevrait une légère décharge électrique avant de... faire pousser de l'herbe ? Bon. Ca avait l'air particulièrement difficile et douloureux, mais c'était toujours mieux qu'un suicide forcé, voyons la... vie du bon côté. Faire pousser de l'herbe. Oui, ça devait être... une expérience... fantastique ? Il jeta un coup d'oeil à la chamane qui avait ouvert ses mains dans lesquelles s'étaient déjà posées celles des deux autres jeunes filles.

Maman... Un rite sabatique.

Tout tremblant, ne sachant où ni comment se placer, il jeta un regard désespéré au professeur Kleinman et, n'ayant reçu aucune permission de s'enfuir à toutes jambes, se redressa timidement, se demandant toujours s'il devait prendre la main de l'une des filles. Non, au fond, mieux valait s'en tenir le plus éloigné possible et essayer de comprendre très rapidement ce qu'il devait faire au juste, dans cette histoire. Egorger un coq noir et le brandir en poussant des hurlements sauvages ? Faute de coq, Gaetan se positionna en face des étudiantes et ferma les yeux, plus pour les imiter que par nécessité réelle.
Au bout de quelques secondes, il ressentit en effet une petite décharge d'énergie qui le fit sursauter. Mais cet amas de flux magiques qui semblait se déverser peu à peu en lui l'indisposait, ne sachant où le placer, comment le maîtriser ou le canaliser. Supposant que ça n'était pas à lui de le faire, qu'il n'était qu'un outil, un "canalisateur", il se concentra pour ne pas dresser de barrière inutile contre ce puissant afflux et visualiser un brin d'herbe, dans la terre. Comment ça pouvait bien être, avant de germer ? Une graine, d'abord ?

Bon, une graine. Et puis, euh, elle doit grossir... Ensuite, des racines qui sortent, toutes blanches, toutes fines, comme des... filaments. Dégueulasse.

Maintenant sa concentration de toutes ses forces, il vit la petite pousse sortir de terre, se teinter de vert et s'incliner légèrement, comme pour mieux prendre le soleil. Ne prenant pas garde à une seconde décharge, moins forte que la première, il fixa son esprit sur cette image de brin d'herbe, pendant encore une minute peut-être. Pris d'une légère migraine, et n'y tenant plus, il ouvrit les yeux.

Le brin d'herbe était là, se dressant fièrement, en tout point semblable à celui qu'il avait visualisé. Le garçon eut un petit rire nerveux et s'accroupit, incrédule.

Avec un rire, un entrain et une souplesse de jeune homme, Isaac s'accroupit (après avoir relevé le bas de son pantalon, cela va sans dire) et remonta ses lunettes sur son nez afin de pouvoir examiner ce fameux brin d'herbe. Un sifflement d'admiration plus tard, il se relevait, remontait de nouveau ses lunettes qui avaient glissées et applaudit chaudement ses élèves.

- Fantastique ! A vrai dire, je n'en attendais pas tant, pour une première tentative. Il faut dire aussi que la complicité et la confiance entre les participants sont souvent proportionnelles à l'ampleur de la réussite. Etant donné que vous ne vous connaissez pas parfaitement, c'est donc un très très beau résultat, toutes mes félicitations.

Ike sourit chaleureusement à ses étudiants.

- Bien, maintenant que vous avez ces bases, il vous sera plus facile de réitérer l'opération. Gaetan, il est important que tu sois conscient maintenant que la magie t'est accessible dès lors que tu es entouré de sorciers. Et vous Mlles, vous venez d'avoir la preuve que le dicton "l'union fait la force" n'est pas qu'une banalité sans fondement.

Après un dernier clin d'oeil, il conclut :

- Si vous avez des questions, des remarques, je vous écoute, sinon, je vous rends votre liberté !