Masterchef

Depuis son arrivée sur Sywhaîd, Orpheo hantait les cuisines sywhaîdiennes. Bien sûr, bien sûr, c'était sans doute une activité somme toute assez naturelle, pour tout bon mort-vivant qui se respecte, que de se promener dans ses lieux de prédilection. Et Orpheo aimait beaucoup les cuisines. La gastronomie était une passion qu'il avait, curieusement, développé de façon posthume (de même que la baguetterie, le macramé et la peinture sur dés à coudre, mais ce n'est pas le sujet). Plus curieux encore, alors même que, réduit à l'état de squelette, il était évidemment dans l'incapacité de goûter ses préparations, celles-ci se révélaient le plus souvent délicieuses. Oh, certes, les mélanges étaient parfois audacieux, et parfois vraiment un peu trop, mais en règle général, on s'arrachait ses scones au citron et autres cailles aux fraises des bois. Sans parler des fameuses tartelettes au saumon dont il avait dû céder la recette pour se dépêtrer des filets d'une odieuse bande de preneurs d'otages. Un souvenir qu'il préférait oublier, d'autant qu'il avait de toute façon rarement sur Sywhaîd les ingrédients nécessaires pour faire les tartelettes en question.

Et parlons-en, des ingrédients de la Lande. Depuis qu'il était arrivé dans une contrée où il fallait calculer le poivre utilisé et carrément renoncer à son demi-pamplemousse au petit-déjeuner, loin d'être calmé dans ses expérimentations culinaires, le squelette-cuisinier n'en semblait que redoubler d'ardeur en la matière. Ou peut-être était-ce simplement parce qu'il fallait bien s'occuper les jours de pluie. Quoi qu'il en soit, donc, on le trouvait souvent dans les cuisines, chassant occasionnellement Meike des fourneaux communautaires pour préparer à tous une bonne petite soupe de poule à l'écossaise. Et par la force des choses, Orpheo rencontrait sur place, très souvent, les "ventres" du coin. Et ce jour-là, l'un d'entre eux était justement occupé à bâfrer une assiette de pâtes. Oui, bâfrer. Car enfin ! Des simples pâtes, mal bouillies ! Décidément, ce jeune homme n'était pas un gourmet, ça non. Orpheo aurait pu simplement passer son chemin, mais ce n'était pas la première fois qu'il rencontrait ce garçon face à un plat à peine qualifiable de "nourriture". Et son sang ne faisait qu'un tour à cette vue (façon de parler, bien entendu, pour un squelette).

Alors pour une fois, le maestro décida que non, ce n'était plus admissible. Aussi tonna-t-il sentencieusement :

"Ah non, décidément, ce n'est plus admissible !" (oui, il était assez cohérent avec lui-même).

Sans demander au jeune homme son avis, du plat de la main il écarta le plat de pâtes.

"Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger, saperlipopette ! Jeune homme, je ne tolèrerai pas que vous vous contentiez une fois de plus de... vous nourrir. S'il le faut, je vous apprendrai moi-même comment monter une mayonnaise !"

Eoghan regarde un long moment l'intérieur de son placard. Finnéa aussi.

Et l'estomac du jeune homme gargouilla.

Le placard était vide. Plus de gâteaux, plus de chips, et encore moins de nouilles instantanées. Sauf que Eoghan n'avait rien mangé depuis 20h - c'était il y a environ trois heures... - et il crevait de faim. Comme il aimait se sermonner tout seul, "Tu es un ado en pleine croissance qui a besoin de manger !". Une excuse foireuse comme une autre !

Bref, ce soir là, à presque minuit, l'irlandais ne pouvait pas faire autrement que de descendre en douce dans les cuisines. Bon sang, la prochaine brèche lui semblait trop loin !! Quittant sa chambre en silence, son Daemon chat sur les talons, Eoghan dressait déjà une liste de course mentale de ce qu'il devrait prendre à sa prochaine sortie de la Lande. Il murmurait des chiffres, et des noms, sans grande logique quand on ne savait pas à quoi il pensait. D'ailleurs, Finnéa rajoutait elle même des chiffres, souvent plus grands. Non, pas question qu'il n'achète "que" vingt boîtes de thon. Quel égoïste, il ne pensait qu'à ses "80 sachets de nouilles instantanées aux crevettes" !

La cuisine était silencieuse, à cette heure-ci. Etrangement, pour un gros mangeur comme Eoghan, ce n'était pas son lieu favori. Car le petit génie O'Riordan n'était, pour ainsi dire, pas un grand cuistot. Tout juste savait-il verser de l'eau bouillante sur ses nouilles instantanées pour qu'elles soient bonnes ! Le ventre de l'irlandais se manifesta une nouvelle fois. Bien, il était temps de passer à l'inspection des placards.

Les conserves ne l'attiraient pas, et il se dit qu'un pot de confiture, bien que délicieux, ne calerait pas son appétit d'ogre. Il finit par opter pour des nouilles, pas instantanées. Et même en appliquant, mot à mot, les instructions de préparation, Eoghan finit par se retrouver avec une espèce de... truc... cimenté, mais mangeable. Son estomac n'en demandait pas plus.

Il dévorait son assiette avec l'entrain et la gourmandise du naufragé qui retrouve la civilisation après des mois d'exil sur une île déserte. Pourtant, son repas de fête est interrompu par l'arrivée... D'un squelette. Enragé, même. La bouche pleine, Eoghan cessa de mastiquer, les yeux fixés dans les orbites vides de Orpheo. Il n'osa rien dire, et de toute façon, "on ne parle pas la bouche pleine". En silence, il mâcha rapidement, avala ses pâtes tout aussi vite, et, heu...

Non, mieux valait se taire, en fait. Si jamais Eoghan avait osé dire que la mayonnaise maison ne valait pas celle en tube... Il n'osait pas imaginer ce qui se passerait. Donc : "

- Heu... pardon ?

Oh, la belle phrase constructive. Orphéo voulait lui apprendre à se nourrir. Et il faisait quoi, là, à son avis ? Eoghan ne comprenait pas trop et se redressa sur sa chaise, un sourcil légèrement levé. Que faire, maintenant ?

- Je ne... Enfin, vous savez, ce sont que des pâtes, hein. Pas de la haute gastronomie. ca se mange juste... Comme ça.

Oui, bon, si elles étaient moins collées, ce serait meilleur. Eoghan jeta un pauvre coup d'oeil à ses pâtes, qui lui semblaient soudain bien fades. C'était malin, alors qu'il avait encore faim !

Comment diable Eoghan avait-il pu espérer ne serait-ce qu'une seconde s'en tirer si facilement, avec une aussi misérable protestation , Pensait-il, l'insensé, qu'Orpheo à ces mots desserrerait la forte poigne de ses phalanges autour du col du jeune homme, qu'il hausserait les épaules en reconnaissant qu'après tout, ce que les gens choisissaient de mettre dans leur estomac ne le regardait pas ? Allons : les personnes âgées ont souvent tendance à estimer avoir un avis sur tout, et, tant qu'à faire, le bon. Or précisément, Orpheo, si bien conservé fût-il, n'était plus tout jeune. BIEN SUR que si un pauvre gars affamé décidait de se plâtrer l'estomac avec de la colle-pâte, cela le regardait, puisque son orgueil de maître-queux s'en trouvait piqué au vif. Nul doute qu'il serait devenu tout rouge, suffocant de stupeur, s'il avait encore eu des poumons à remplir. Ses orbites vides exprimaient l'horreur la plus complète.

"Je... comment... pouvez-vous... associer ce... ce... à l'idée de "manger" ?" s'exclama-t-il, en faisant frénétiquement non de la tête, et sans lâcher le col du jeune homme. Au contraire, il obligea celui-ci à se lever en levant le poing.

"Je vais vous montrer, moi, ce que cela signifie, "manger" ! Tt, tt, pas de "mais" ! Allons, debout ! Il est temps à votre âge d'apprendre à vous nourrir correctement. Vous verrez que c'est à la portée du dernier empoté. Que préférez-vous, salé ou sucré ?"

Le squelette avait enfin lâché Eoghan, mais uniquement physiquement parlé. Il était manifeste qu'il était on ne peut plus sérieux, retroussant déjà ses manches et examinant les alentours à la recherche d'inspiration, en fonction des aliments disponibles.

La situation avait un goût de déjà vu. Eoghan se souvenait des nombreux cris de Zooey, sa meilleure amie, chaque fois qu'elle voyait ce qu'osait engloutir l'irlandais, avant qu'elle ne finisse par lui faire connaître la joie des nouilles instantanées.

Oui bon, la différence, c'est que Zooey ne l'avait jamais chopé par le col et qu'elle... Heu... Avait un visage, quand même. Non qu'Orpheo était inexpressif, mais... Eoghan frissonna. Inutile de protester parce que de toute façon, le squelette ne lui en laissa pas le temps. Il voulait juste manger, ou plutôt, caler son estomac affamé. Il n'avait jamais réussi à faire une omelette - bravo le génie de la famille O'Riordan ! - alors il se contentait de plats micro-ondable, de gâteaux, et autres trucs tout près. D'ailleurs, il manquait un fast food à Sywhaîd, selon lui. Du coup, une fois lâché par Orphéo, Eoghan prit quelques secondes pour réfléchir avant que son Daemon ne lance :

- Salé ?
- Nan, sucré. Pour le dessert. Vous pourriez faire un gâteau ? Avec de la crème... De la chantilly... Du citron ?

En fait, Eoghan avait plein d'idées de desserts. Mais il ignorait tout à fait ce qu'il pouvait demander, sans trop empiéter sur les réserves sywhaîdiennes. Vivement la prochaine Brèche, qu'il aille faire des courses énormissimes pour remplir tous ses placards, et tenir une saison avec ses réserves de petits beurre, de ramen, et autres cochonneries qu'il affectionnait tant.

Eoghan commit sans doute un très gros impair en reprenant son assiette de pâtes cimentées pour la finir - hey, pas de gâchis, et en demandant au squelette :

- C'est pas mon domaine, la cuisine...
- Sans blague...", grinça Finnéa...
- ... Mais si je peux faire quoi que ce soit pour vous... heu, vous aidez, vous dites, hein.

"Sucré, hein ? Gourmand, allez !" s'exclama joyeusement le squelette - que cela ne dérangeait apparemment pas de passer ainsi de la colère à l'horreur en passant par la plus franche gaieté en moins de deux minutes -, en pointant démonstrativement une phalange en direction du nez d'Eoghan.

"En avant pour du sucré, donc !", s'exclama-t-il tout aussi enthousiaste, tel Caligula l'empereur fou sonnant la charge pour lancer ses troupes à la bataille. Car assurément, oui, Eoghan allait "aider" Orpheo, et même un peu plus que cela.

"Vous aimez manger, mon garçon ? Eh bien c'est que la cuisine est votre "truc". Ne me dites pas que vous ne préfèreriez pas une bonne tarte au citron accompagnée de chantilly à..."

Le maestro détourna les yeux de ce qui restait des pâtes, dégoûté.

"Hum, pour commencer, débarrassez-moi de ce... urgh. Cela déconcentre. Pendant ce temps, je m'en vais quérir nos ingrédients. Oh, eh, attendez !" Il intima au jeune homme l'ordre de na pas bouger, tandis qu'il l'examinait avec attention. Puis, sans prévenir, il tendit la main vers ce dernier. Aussitôt, un tablier blanc à rayures multicolores ainsi qu'une toque assorties apparurent, ceignant respectivement le torse et le chef du garçon.

"Parfait, à tout de suite !"

Quelques instants plus tard en effet, juste le temps pour Eoghan de faire sa petite vaisselle, le vindicatif maestro s'en revenait des réserves les bras chargés de victuailles diverses.

"Voilà voilà !" s'exclama-t-il en les posant sur le plan de travail.

"Alors, par quoi commence-t-on ? La pâte brisée sans doute. Ne me dites pas que vous n'en avez jamais fait ?"

Du sucré ! Une tarte au citron avec de la chantilly ! Eoghan eut un immense sourire à l'idée de ce dessert qui allait bientôt se dresser sur cette table. Même Finnéa s'en léchait les babines par avance. L'irlandais s'en frotta les mains, et il n'eut même pas le temps de répondre à Oprhéo que non, la cuisine n'était franchement pas son truc dès qu'il fallait la faire que *pouf* ! Il se retrouva affublé d'un tablier.

Avec sa motivation toute neuve, Eoghan vira - à contre coeur, il n'en faut point douter - le reste de son assette de "pâtes" dans la poubelle et - soyons fou ! - il lava même son assiette. Orphéo revint avec des tas de choses dans les bras, et Eoghan n'en revenait pas qu'il fallait tout ça pour faire une tarte au citron. Finnéa prit place sur un tabouret alors que son humain regardait avec appréhension le tas d'ingrédients.

Une pâte brisée. A-t-il déjà fait de la pâte brisée ? Mais bien entendu, enfin ! Vu comme je réussis à faire une simple plâtrée de pâtes, je peux tout réussir !"

- De la pâte brisée ? Heu. Non... J'en n'ai jamais fait, non... Vous savez, les tartes, normalement, je les achète chez le... pâtissier...

Il n'allait pas non plus avouer qu'il les achetait en gros en grande surface ? Oh non. Orphéo allait lui faire une nouvelle crise d'apoplexie. Donc non, Eoghan ne lui demanderait pas non plus pourquoi il n'avait pas simplement pris une pâte brisée déjà toute faite. Le jeune homme regarda tous les ingrédients avec un air vaguement inquiet. Ah ! Qu'il était risible, en cet instant, le Génial O'Riordan !

- Alors... On fait ça comment ? ... Non parce que je ne sais déjà pas faire des pâtes tout court, alors une pâte brisée...

Les métacarpes compatissants du squelette tapotèrent gentiment, mais fermement, l'épaule du jeune homme.

"Allons, allons, petit !" s'exclama celui-ci d'un ton paternel. L'apostrophe n'était peut-être pas la plus appropriée à l'adresse d'un jeune homme sourcilleux sur sa virilité, mais de fait, Orpheo était une créature particulièrement grande et élancée, à côté de laquelle même des adultes de taille parfaitement normale pouvaient passer pour des avortons. Et à l'âge qu'il avait, il pouvait d'autre part assez facilement se laisser aller à considérer tous les êtres vivants, vieillards chenus-poilus compris, comme de braves petits jeunots. Autant dire que le gamin, incapable de se cuire correctement une assiette de pâtes, était un moineau pataud encore à moitié couvert de la coquille de son œuf.

"Il n'y a rien de plus simple au monde qu'une pâte brisée, vraiment. A moins bien sûr de se tromper dans les proportions, mais je me charge de cette partie. Vous, garçon..."

Orpheo posa un récipient de terre devant Eoghan, trop large pour être un bol, trop petit pour être un saladier. Ce faisant, il sourit joyeusement - son jeu de mâchoires pouvait se révéler extrêmement expressif.

"Comme le dit le proverbe fameux, c'est en touillant qu'on devient marmiton. Je vais ajouter les ingrédients au fur et à mesure. Contentez-vous de gigoter des mains, énergiquement, mais sans en mettre partout, si possible. Mais d'abord, allez vous laver les mimines. Il ne manquerait plus que vous fichiez un bout de pâte trop cuite dans notre tarte, ah ça, non alors !"

Autoritaire, le squelette désigna du doigt l'évier - dont il évita cependant prudemment de s'approcher. Lorsque Eoghan revint les mains propres, Orpheo l'attendait de pied ferme. Il l'avait surveillé de pied ferme ; pas question qu'il se défile au dernier moment, le poussinet !

Eoghan ne s'était jamais senti aussi gauche. Il fallait savoir que ce gamin là, quoi qu'il ait entrepris par le passé, il le réussissait haut la main - d'où son surnom de petit génie de la famille, voyez vous ? Le seul domaine à lui avoir tenu tête jusqu'à présent, avait été la cuisine, évidemment. Un comble pour ce gouffre sur pattes.


Les nouilles instantanées et plats micro-ondables avaient été inventés pour lui, il ne fallait pas en douter. Mère O'Riordan avait autre chose à faire que de passer son temps aux fourneaux pour son tendre rejeton. Et les cuisiniers, généralement engagés, n'étaient présents qu'aux heures de repas règlementaires. Ses essais culinaires avaient donc été nombreux, et tous des fiasco. Mais voilà que le squelette de Sywhaîd pensait pouvoir lui faire faire une pâte brisée. Sans protester - ou presque, puisqu'un "oooh" digne d'un collégien avait accompagné sa moue déjà découragée - Eoghan prit donc le chemin de l'évier, où il prit un temps fou pour se laver les mains. L'art de gagner un peu de temps avant l'exécution, hein ? L'irlandais prit tout autant son temps pour essuyer - consciencieusement, tout à fait ! - ses mains mouillées avant de revenir prendre place devant le demi saladier.


Quand il fallait se jeter à l'eau, hein... Il retroussa ses manches un peu plus qu'elles ne l'étaient déjà, et attendit qu'Orphéo ne verse les ingrédients. Finnéa intervint, moqueuse, d'un murmure :


"Remue les mimines, 'Ghan. Mets y un peu plus de motivation, que diable !"


Le Daemon chat se vit foudroyée d'un regard sombre, auquel elle répondit par un "Miaou" adorable - mais tout aussi moqueur. Eoghan, lui, essayait de s'appliquer. Mélanger de la farine et du sel, ça allait, ce n'était pas trop difficile. Ignorons la fine pellicule blanche sur la table, autour du petit saladier, et disons que c'était déjà un bon début. L'arrivée du beurre déclencha le début des hostilités. Ca lui collait au doigt, ca faisait des gros morceaux gras entre les doigts... Bref, ça s'incorporait pas. Mais Eoghan n'était pas du genre à baisser les bras, ça non. Mais... Mais zut, quoi. Il batailla avec son début de préparation.


Eoghan pensa qu'elle les lui brisait déjà, cette pâte. Mais pourtant, la promesse d'un dessert excellent, qui serait englouti en moins de cinq minutes sans doute, le força à persévérer. En vain, évidemment.

Fort heureusement (?), Eoghan pouvait compter sur les encouragements nourris de son professeur du jour. Orpheo aurait probablement fait un maton très convaincant, à en croire la façon dont il poussait des exclamations énergiques dès qu'Eoghan relâchait un tant soit peu ses efforts. Ce faisant, il lançait avec enthousiaste des poignées de farines dans le saladier, ce qui créait de petits nuages relativement spectaculaires. Ca ne faisait pas très sérieux, mais la pâte arriva bel et bien, grâce à cette méthode pourtant peu orthodoxe, à une consistance parfaite. Il fallait ensuite la laisser reposer, expliqua Orpheo. Fort heureusement, ce terme obscure ne recoupait rien d'autre que le fait de laisser la pâte dans un coin, simplement recouverte d'un torchon propre.

Pendant que la pâte, donc, "re-po-sait", ils partirent à la recherche de citron. Malheureusement, il n'y en avait pas assez, et ils durent se rabattre sur une simple tarte aux pommes.

Le maestro sembla sur le point de s'évanouir lorsque son marmiton lui avoua ne jamais avoir appris à se servir d'un économe, et il entreprit rapidement de lui montrer comment faire. Mais il faut avouer que les tentatives d'Eoghan étaient à la fois nettement moins efficaces et élégantes que celles de son chef cuistot, dont les pelures, en quelques secondes à peine, se détachaient de leur pommes en longs tortillons gracieux. Oprheo en avait déshabillé quatre que l'ado s'acharnait encore sur sa première, lui ôtant par petits coups autant de pulpe que de peau. Le squelette ne l'en félicita pas moins, allant jusqu'à passer la main dans la chevelure du garçon pour un frénétique massage qui n'eut probablement rien de très agréable.

De fait, pomme massacrée ou pas, il en restait toujours bien assez pour remplir le moule. Patiemment, Oprheo guida son apprenti dans la suite de la recette. La moitié des pommes fut jetée dans une casserole avec du beurre pour être réduite en compote, pendant que l'autre était finement émincée. Enfin, émincée, disons, car ce fut Eoghan qui s'en chargea. Et il ne s'en tira objectivement pas si mal, trouvant visiblement cela plus facile que l'épluchage.

Il fallut ensuite étaler la pâte et, là encore, le jeune homme put se rendre compte que ce n'était pas si sorcier. Oh, sa pâte n'était pas vraiment régulière, et avait une forme plus patatoïde que réellement circulaire, mais ça aurait le même goût ! Broyer les pommes cuites en compote s'avéra même carrément rigolo, et d'autant plus agréable qu'Orpheo jeta dans la mixture quelques gouttes d'essence d'orchis vanillé qui exhalèrent aussitôt un parfum absolument divin.

Il ne restait heureusement plus qu'à disposer les différents éléments, puis à faire cuire, ce qui ne dura pas très longtemps grâce à la précaution qu'avait prise Orpheo de le préchauffer. Une quinzaine de minutes plus tard, Eoghan put s'attabler devant une belle tarte aux pommes dorée à souhait, nettement plus appétissante qu'un vilain plat de pâtes trop cuites. Il ne put malheureusement pas la manger tout à fait en paix, devant entre chaque bouchée confirmer au maestro que oui, oui, c'était effectivement quand même meilleur.

C'est à la manière d'un super-héros que le squelette quitta donc les cuisines, faisant mine de rabattre derrière lui les pans d'une cape inexistante. Il souleva sa toque pour saluer le garçon une dernière fois avant de s'en aller, avec la satisfaction du devoir accompli, bien certain qu'après une première expérience aussi idyllique, Eoghan était parti pour s'inscrire à Masterchef d'ici un ou deux ans à tout casser.

[Ayant honteusement laissé traîner, je conclus. N'hésite pas à me dire si des détails te chiffonnent. Et quand tu veux pour un nouveau topic !]